Mal nommer
un objet, c'est ajouter

au malheur de ce monde.

Albert Camus.


mardi 17 juillet 2012

Joseph Losey: 17 juillet 1942. Monsieur Klein (1976)


Il y a soixante-dix ans, jour pour jour, Joseph Losey était là (5' 18).

samedi 14 juillet 2012

Armand Gatti: Le Lion, sa cage et ses ailes (1975-1977)




En hommage aux travailleurs de Peugeot,
relisons cette note du 3 mai 2011.

Après la redécouverte des beaux films de Yann Le Masson, les éditions Montparnasse ouvrent une nouvelle collection, de découverte celle-là, qui dit bien son nom Le Geste expérimental, animée par Nicole Brenez et Dominique Païni, deux noms familiers aux amoureux du cinéma, sur le nom d'Armand Gatti.

Mon souvenir d'Armand Gatti remonte à mes dix-neuf ans: Le Voyage du Grand Tchou et, invitée dans la mise en scène de Roger Planchon avec Jean Bouise, La vie imaginaire de l'éboueur Auguste G. au Théâtre Quotidien de Marseille (1962) dont il faudra un jour ressusciter ici mes souvenirs; puis au TNP à Chaillot, l'inoubliable Chant public devant deux chaises électriques (1966); à Nice enfin en 1967, dans sa propre mise en scène, V. Comme Vietnam. Et, toujours à Marseille, au Paris de la proche rue Francis-Davso, L'Enclos, ce très grand film de 1961: année Antonioni, Cassavetes, Godard, Losey, Resnais, Varda, Visconti, qui d'autre encore.

De 1975 à 1977, l'un des plus grands expérimentateurs de la scène et du film — sur Gatti, on se reportera utilement au site La Parole errante à la Maison de l'Arbre — tourne Le Lion, sa cage et ses ailes, avec Hélène Châtelain (actrice en 1966 dans Chant public devant deux chaises électriques) et son fils Stéphane Gatti, huit films magnétiques réalisés dans la grande tradition des Ciné-tracts et des films du Groupe Dziga Vertov, animés par Jean-Luc Godard, Jean-Henri Roger et Jean-Pierre Gorin, et des groupes Medvekine publiés également aux Éditions Montparnasse.

«Quand tu es capable de traiter graphiquement et avec un texte très simple l'idée de ton film, tu commences à être près de le tourner.» L'aventure part de la réalisation d'affiches en sérigraphies, reproduites en couleur dans un beau livret d'accompagnement, L'Arche d'Alliage. À partir de ces inventions graphiques, l'équipe Gatti et les scénaristes des différentes communautés mettent en scène les travaux et les jours, les gestes et la parole de Peugeot-ville.

Montbéliard, le générique du cycle, sous le signe des deux morts en mai, montre les mouvements pendulaires de la ville ouvrière, levers, transports, allers et retours, école, hôpital, marché. Le lion, c'est Peugeot et la production; sa cage c'est Montbéliard. Quant aux ailes, ce sont:

— Les Polonais: refusant de devenir des choses, en habits traditionnels ils dansent et musiquent, trois fois par semaine. Ils créent une contre-ville à l'intérieur de la ville et savent qu'ils ont raison de la créer: Le Premier Mai, avec leurs gilets brodés, leurs rubans, leurs rondes et leurs instruments, la vraie manif, c'est eux.

— Les Turcs, Marocains, Algériens, Tunisiens: entre vie réelle et vie jouée pendant le mois de Ramadan, Arakha / En avant, ils inventent, revivent, reconstituent, improvisent et incarnent leurs moments de vie sur le plateau de cinéma, de théâtre, de musique dans les baraquements de Fort-Lachaux, à l'usine et dans leurs démarches en ville à l'ANPE. Une seule prise, sinon ce n'est pas du jeu.

— Les Espagnols: Ancien milicien de la Guerre d'Espagne, aujourd'hui forain, dur au travail et toujours en colère, L'Oncle Salvador passe donner sa parole: «Il y a une chose que vous devez comprendre sinon vous n'avez rien compris, c'est la bataille de Teruel». Dans un CD-Rom à imprimer d'urgence en livre, Gatti commente: «Teruel, nous on pensait Malraux, etc. Lui, il l'avait vécue, cette bataille, la plupart de ses compagnons y étaient restés. Il gardait toujours quelque part l'impression d'avoir été assassiné dans le dos.» La véritable identité de la classe ouvrière ne peut être accaparée ceux qui la réduisent à ses luttes. La parole appartient d'abord à ceux qui vivent l'histoire au quotidien. Et à ceux qui, comme lui, font pousser leurs propres arbres.

— Et ce sens de la complexité historique, La Difficulté d'être Géorgien en témoigne à son tour. Aujourd'hui, à Montbéliard, pour Michel, quasi-centenaire qui transmet sa mémoire à ses arrière-petits-enfants, ou pour l'artiste et savant Severian, mort et enterré dans les chants d'hommes pendant le tournage après avoir sculpté sur une poutre — et commenté — toute l'histoire de son pays depuis le XIIe siècle, être Géorgien, c'est être contre toute idéologie et retrouver un jour leur pays, aujourd'hui des livres dans une armoire. À cheval sur le sens des mots les plus quotidiens, ces ouvriers ne veulent plus comprendre ce que «progressiste» veut dire. Mais tous savent que le musée de Géorgie fait partie de l'histoire de Montbéliard.

— Les Yougoslaves: La quadruple journée de Radovan entre études, formalités, travail et karaté ou La Bataille des trois P: Production contre Paysan; Poète contre Peugeot; Partisan contre Pouvoir. Et tant d'autres P qui font de la peur des prolétaires la propriété des patrons. Licencié pour avoir passé toute la chaîne de production au karaté. «Rado apprenait son texte comme un rôle. Il voulait que ce soit de belles phrases, du beau français, pas du parler d'émigré. Plus le texte était littéraire, plus il s'y retrouvait, plus il était content.» Il n'a pourtant pas assez parlé de la haine, du désespoir, de la violence.

— Les Italiens: Polentoni du Piémont contre Terroni de Sicile se confrontent avec humour à leur propre racisme. Ou, pour la direction et pour les camarades, s'il est permis de chercher une femme, il est interdit de la trouver. Les nouveaux sont arrivés avec Gramsci dans leur valise de qui, malgré l'interdiction, Gianni a affiché le portrait dans sa chambre, ce pour quoi il finit par être renvoyé. Un dimanche de beuverie, Gianluca trouve à leur film un titre: Montbéliard est un verre, mais il refuse bientôt que le titre réduise et aliène leurs images. En bons marxistes, leur particularité est d'avoir réalisé, non un film, mais la critique du rêve de film.

Et, en guise de générique et de crédits de fin, dans une ultime continuité de onze minutes, tous les auteurs et acteurs, les vivants et les morts, nous confient pour une Dernière émigration leurs intelligences, leurs inventions, leurs images, leurs noms.

© Affiche (détail). Auteur: Christian Tchirakadze. La Parole errante.

dimanche 8 juillet 2012

L'indigné à la triste figure



Dans une interview donnée au quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung du 21 janvier 2011, Stéphane Hessel répond à la question qui lui demande comment il a pu survivre à tous ses internements successifs (Buchenwald, Dora et Rottleberode), pour conclure ainsi son explication:

Aujourd'hui nous pouvons constater ceci: la souplesse de la politique d'occupation allemande permettait, à la fin de la guerre encore, une politique culturelle d'ouverture. Il était permis à Paris de jouer des pièces de Jean-Paul Sartre ou d'écouter Juliette Gréco. Si je peux oser une comparaison audacieuse sur un sujet qui me touche, j'affirme ceci: l'occupation allemande était, si on la compare par exemple avec l'occupation actuelle de la Palestine par les Israéliens, une occupation relativement inoffensive, abstraction faite d'éléments d'exception comme les incarcérations, les internements et les exécutions, ainsi que le vol d’œuvres d'art. Tout cela était terrible. Mais il s'agissait d'une politique d'occupation qui voulait agir positivement et de ce fait nous rendait à nous, résistants, le travail si difficile.

Il ne s'agit pas seulement d'une réponse de circonstance à un journaliste. En d'autres situations, plus savantes et plus universitaires, il avait déjà eu les mêmes considérations, pratiquement mot pour mot, au cours d'un entretien de 2008 avec l'historien Jörg Wollenberg de l'Université de Brême. Le texte de cet entretien a été publié dans un supplément à la revue "Sozial Geschichte Zeitschrift für historische. Analyse des 20 et 21. Jahrhunderts.

Une façon comme une autre de célébrer la date du 17 juillet 1942: la rafle du Vél d'Hiv aura ce jour-là soixante-dix ans.

© Photographie: Francine Beirach, cousin of the three Bajroch brothers, was four and a half years old; she was born in Paris. She was arrested during the Vél-d'Hiv roundup with her parents, Avroum and Malka, who were deported on convoy 15 of August 5, 1942. However, there is no trace of Francine on the deportation lists where her name should have been. Perhaps she was one of those very young children, alone and in anguish and unable to state their identity when deported, for whom all means of identification were lost. (French children of the holocaust, A memorial, Serge Klarsfeld).