L'une des trois agences de notation à faire la pluie et le beau temps sur les marchés et sur les politiques économiques de tous les pays du monde, l'agence Standard & Poor's a dégradé ce vendredi 6 août la note de la dette américaine, avec des conséquences dont on n'a pas fini de mesurer l'ampleur et qui ne se limiteront pas à des ruines ou des enrichissements de spéculateurs, ni à des turbulences de quelques semaines, mais prendront la dimension d'un conflit mondial entre gouvernements et puissances financières. Dans les négociations bipartites entre Républicains et Démocrates pour tenter de trouver un compromis acceptable, ce n'est pas être partisan que d'estimer le camp républicain mis en coupe réglée par sa minorité du Tea Party, dont les leaders ont explicitement déclaré que leurs intentions étaient de provoquer une catastrophe majeure afin d'empêcher la réélection du président Obama. La politique du pire donc, qui vient poursuivre les campagnes carrément racistes et le climat d'appel au meurtre, comme la tuerie de Tucson l'a mis en lumière en janvier dernier.
Or, selon Le Monde des 7/8 août, dans les calculs sur lesquels s'est fondée l'agence en question, elle a reconnu de fait avoir compté deux fois une projection de la dette de deux trillions de dollars, et a été contrainte de corriger son rapport après sa publication, tout en maintenant la dégradation de la note, malgré sa surévaluation d'environ 15 %. L'aveu d'incompétence, sinon de manipulation, s'est doublé d'un autre aveu puisque la première version s'ouvrait sur les projections de déficit budgétaires et de la dette publique et que la seconde préfère arguer des «risques politiques», qui prennent le pas sur les chiffres, rejetés en fin de communiqué. Comme l'a souligné le Washington Post, la critique politique est au moins «autant une critique politique qu'une conclusion financière».
C'est donc tout à fait normalement que John Bellows, haut responsable du Trésor américain, a tiré ses conclusions sur le site du Wall Street Journal du 6 août:
«La taille de cette erreur, et la rapidité avec laquelle S&P a changé sa justification principale quand on lui a présenté cette erreur, soulèvent des questions fondamentales sur la crédibilité et l'intégrité de la décision prise par S&P sur cette note [...] S&P a reconnu cette erreur [mais] n'a pas estimé qu'une méprise de cette ampleur suffisait pour justifier de réexaminer son jugement, ou même de se donner un jour supplémentaire pour réévaluer soigneusement l'analyse».
Ajoutons avec José Manuel Gonzalez-Paramo, membre du Conseil exécutif de la BCE, (dans un entretien au journal espagnol La Voz de Galicia, 7 août 2011) que:
«nous avons un très sérieux problème avec les agences de notation. Elles peuvent être mauvaises ou très mauvaises dans leurs recommandations, comme cela a été démontré au cours des dernières années, et elles n'assument pas leurs responsabilités. Elles sont aussi sujettes à des conflits d'intérêts flagrants. Aujourd'hui elles ont encore tort et basent leurs analyses pas seulement sur des faits mais aussi sur de pures conjectures, avec des informations partielles».
Il faut encore rappeler que la législation américaine — et donc de fait le reste du monde — a fait de ces trois agences privées des agences de notations agréées, et oblige les investisseurs institutionnels à n'acheter que des titres bien notés et les vendre dès qu'ils sont dégradés. Ce qui n'a longtemps été qu'une évaluation réservée aux spécialistes est devenu une certification obligatoire que personne n'évalue ni ne contrôle.
Notons enfin qu'il semble suffire du caprice d'une seule, puisque, aux dernières nouvelles, les deux autres agences de notation, Moody's et Fitch Rating, n'ont pas encore suivi leur consœur et maintiennent leurs notes AAA sur la dette souveraine américaine.
© Photographie: Maurice Darmon. Images de Manhattan, juin 2009.