Après une période de fatigue, reprenons notre rhapsodie sur ces prochaines élections présidentielles entamée en décembre 2009, réunie sous cette table: Vers 2012.
Représentant à l'heure actuelle les trois quarts des intentions de vote — à droite le président sortant et pas loin l'éternel béarnophone; à gauche mais avec de moins en moins d'insistance là-dessus, le socialiste rassurant les financiers londoniens sur la disparition des communistes en France, eux-mêmes fédérés à de traditionnelles forces de gauche derrière le quatrième — les quatre candidats principaux à l'élection présidentielle déclarent souhaiter le maintien de la France dans la zone euro. Dont acte sur une option centrale pour le futur immédiat et proche.
Une remarque préliminaire concernant les électeurs d'extrême-droite, une bonne partie du quart restant. Fondant tout leur projet sur la sortie de la zone euro, ils n'auront plus aucun moyen de se ranger dans le jeu du second tour, sauf à se renier absolument. Leurs leaders ne pourront donc que recommander l'abstention ou faire comprendre de façon voilée et politicienne leurs choix, d'autant que les concurrents du second tour, de façon tout aussi politicienne, payeront le prix nécessaire pour trouver leurs voix infiniment respectables le moment venu, ce que d'ailleurs elles sont. Mais ce dilemme n'est pas le nôtre.
Quant aux électeurs du Front de gauche, rien n'est jamais joué avant le scrutin et ils peuvent évidemment espérer que, présent au second tour, leur porte-parole devienne président dans un grand élan populaire. On se divertirait ce coup de pied dans la fourmilière si cette configuration n'était pas la meilleure garantie de réélection pour le candidat sortant. La théorie du «chaque chose en son temps» est un piège, d'autant que le rôle et le sens de cette candidature ne sont pas dans cette utopie démobilisatrice et contre-productive. C'est avant le premier tour que les forces réunies derrière le Front de gauche doivent préciser leurs propres positions afin de les transformer en un incontournable soutien et être en même temps en mesure d'exiger des éclaircissements de celui qui a toutes chances d'avoir prioritairement besoin de leurs voix au second tour. Dans la confusion des valeurs et des idées qui présideront au second tour et à son chantage au grand balayage, en dehors des positions déjà clarifiées il n'y aura place alors que pour les démissions et les soumissions.
De façon plus centrale, le quinquennat dessiné par ces quatre noms repose donc sur la monnaie unique et la poursuite de la construction européenne. Ceux qui parmi nous aspirent de façon réaliste à de véritables propositions de changement devraient au moins exiger de celui qui risque de devoir les assumer qu'il renonce aux effets oratoires faciles, aux mots d'esprit qui n'en donnent à personne; que ses lieutenants et lui cessent de penser qu'il suffit de profiter des réflexes de rejet pour se dispenser d'aborder — plus concrètement que par des mouvements du menton et de vagues considérations sur la croissance — les modalités de la poursuite de la construction européenne et tout de suite, les modifications du traité qu'il entend proposer aux autres gouvernements avant de nécessairement le ratifier. Devons-nous nous satisfaire de l'extraordinaire argument de son chef de campagne selon qui c'est au Parlement à ratifier un traité et qu'on a donc tout le temps de voir, après avoir voté aux présidentielles et aux législatives comment les choses se passeront, une fois qu'auront été élus lui et la nouvelle Chambre?
Un raisonnement analogue s'applique d'ailleurs aux inimaginables silences du principal compétiteur sur les questions de politique étrangère, domaine pourtant réservé par tradition au chef de l'État. Voterons-nous dans deux mois pour quelqu'un qui ne dessine rien face aux immenses reconfigurations en cours autour du rôle mondial des États-Unis? de la montée en puissance de diplomaties comme celles de la Russie, de la Chine ou de l'Inde, en particulier dans nos traditionnelles sphères d'influence comme le bassin méditerranéen ou l'Afrique? de l'avenir complexe des pays arabes et des options que leurs forces démocratiques attendent de notre gouvernement, sans parler de la toujours nouvelle guerre de Cent ans au Moyen-Orient? Là aussi, le candidat du changement semble croire aux vertus rassembleuses du silence.
Devrons-nous donc voter, non plus seulement par défaut mais en ignorance de cause? Par deux fois déjà, nous avons vu dans quelles défaites puis impasses nous aura mené le sophisme politique du "Tout sauf". Le grand danger où nous sommes est que, pour la première fois, cette absurdité politique risque de suffire à la victoire aux points. Plus le rejet du président sortant est fort, plus il est aisé mais lâche au soupirant de s'abandonner au courant et d'éviter les sujets qui demandent clarté et engagements. Et nous courrons alors le risque de ne plus savoir pour quoi on aura voté, ni même pour qui.
© René Magritte: Les amants (1928), collection Richard S. Zeisler, MoMA de New York.