Une enquête internationale sur les perspectives économiques 2011 a été réalisée par BVA / Galllup International dans cinquante-trois pays en décembre 2010, auprès de 64203 personnes. On peut en télécharger ici la méthodologie d'ensemble et les principaux résultats, sous une forme extrêmement claire et lisible. On constatera que nos concitoyens sont les plus pessimistes de la planète sur ces perspectives, sur tous les tableaux, c'est le cas de le dire, loin derrière les Irakiens, les Pakistanais ou les Afghans.
— Ainsi 61 % des Français (interrogés), contre 22 % des Allemands et 38% des Européens, estiment que 2011 sera une année de difficultés économiques, et 3% à supputer une année prospère, contre 40% dans le monde (= les 53 pays). Tous revenus confondus — et la France se situe parmi le groupe aux revenus relativement élevés, la France est le pays le plus pessimiste de tous, loin derrière la République tchèque, l'Italie, l'Espagne, le Royaume-Uni, et même l'Islande.
— Ainsi, 37% des Français pensent que leur situation personnelle empirera en 2011, contre 26 % en Europe de l'Ouest. 30 % des Allemands et 53 % des Suédois estiment qu'elle s'améliorera, contre 15 % en France. Partout dans le monde, les optimistes sont majoritaires, sauf en Europe de l'Ouest.
— Ainsi 67 % des Français voient le chômage augmenter contre 27 % en Allemagne et, il est vrai 74% au Royaume Uni qui détient le record sur le sujet; et, avec 59 % de gens sûrs de garder leur emploi, les Français sont tout de même parmi les plus inquiets de le perdre: 40 % contre 27 % en Europe de l'Ouest.
Les Français se consoleront-ils en se disant qu'ils sont les plus lucides ou les plus intelligents? Nous laisserons-nous dire, impuissants, que tout se joue désormais en Chine, en matière de monnaies, d'échanges équilibrés, de politique environnementale, alors que nous sommes censés avoir moins d'un an pour préparer la relève politique nécessaire? Allons-nous continuer à voir des responsables politiques s'affronter en petites querelles et, dans le meilleur des cas agiter des hochets vides de sens: retraite à 60 ans alors qu'elle est déjà en moyenne prise à 62 ans, ou ces manœuvres récentes autour des trente-cinq heures alors que la semaine, pour ceux qui travaillent hors précarité, est de 41 heures et de 38,5 heures en l'incluant? Quand on ne camoufle pas de vrais problèmes en dénaturant des sujets importants comme la sécurité ou la laïcité?
Nous nous compterons parmi les électeurs potentiels de la gauche lorsqu'elle se confrontera, au moins en paroles, au moins en propositions sur les trois vrais sujets importants, et nous osons dire qu'il n'y en a pas d'autre, ni besoin d'autres:
— La France se désindustrialise à toute allure, bien plus vite que tous les autres pays d'Europe de l'Ouest en situation comparable. Il faut donc que la gauche mette sérieusement et dignement la question de l'emploi au centre de son dispositif stratégique.
— Plus précisément, la France se déqualifie: tandis que les emplois qualifiés sont en chute libre, résistent ou se développent des emplois sans réels apprentissages et mal rémunérés, principalement dans des domaines comme le service aux personnes âgées, la restauration, rapide ou non, et l'hôtellerie, ou les éphémères magasins de vêtements importés dans les rues piétonnières. Et comme ce n'est pas le pouvoir d'achat des Français qui leur permet de faire tourner ce genre de services, on comprend qu'il s'agit d'une économie fondée sur le tourisme et la consommation de gens à qui est vendue la France comme destination de luxe, de Disneyland au Centre Pompidou en passant par de grandes expositions, une sorte de vénitianisation de l'économie qui se prive de toutes forces vives et créatrices pour abonder en boutiques de pacotille mémorielle, en quelque sorte. Un chemin suicidaire déjà largement expérimenté par l'Italie, l'Espagne ou la Grèce. Et que nous rejoignons allègrement, alors que cela signe l'abandon de l'innovation technologique, de la recherche scientifique et de la simple diversification culturelle.
— La France est moribonde enfin d'une crise de l'école historique et incommensurable, à ce point que c'est sans doute par là que toute révolution profonde doit commencer. Cessons de flatter le dévouement des maîtres ou des enseignants — que leur reste-t-il d'autre pour avoir simplement un peu d'estime d'eux-mêmes? —, sous le prétexte que leurs voix seraient les plus faciles à réunir abstraitement et par principe autour de la gauche, ce qui est sans doute socialement et culturellement faux depuis belle lurette. Comme tous leurs concitoyens, les enseignants — ce qu'il en reste, d'autant qu'ils sont largement déqualifiés comme tout le monde — sont en perte de repères, ont la conscience troublée, partagent les mêmes pessimismes et, qu'ils en tirent argument ou non, sont menacés de se faire les agents d'une école de consommation illusoire de l'immédiat et de nivellement par le bas. Ce n'est pas seulement une question de moyens, certes cruellement nécessaire mais qu'ils identifient clairement, mais surtout d'une remise en hiérarchie de ce que veulent dire enseigner, étudier, apprendre. Et, sur ces questions, leur précarité, leur déqualification, leurs études insuffisantes et de médiocre qualité sont facteurs de confusions plus profondes et forcément mal prises en conscience. C'est l'urgence de la gauche de reconstruire l'école et de la peupler d'acteurs à la hauteur de leurs tâches. Au fond, ces gens ne demandent, n'attendent que ça. Pour être ancienne, la chanson n'a rien perdu de son urgence. Alors, dans un second temps, serons-nous tous mieux armés pour reconstruire l'ensemble du service public?
Nous savons bien que les promesses ne sont jamais tenues. Mais si ces trois questions nous sont posées durant cette année 2011, vivrons-nous au moins un vrai débat dans les mots, retrouverons-nous un langage pris au sérieux, ce qui est tout ce que nous osons encore espérer: il y a si longtemps que nous n'en avons plus fait l'expérience. En tous les cas certainement pas lors de leur dernière élection présidentielle qui battit tous les records de vide, d'artifice et, bien entendu, de duplicité et de mensonge. Ni depuis.
© Photographie: Maurice Darmon, Dans Calcutta désert, diaporama sur Venise, mai 2007.