Les sociologues de haut-parleurs et les leaders d'opinion adorent, à propos des événements en cours, évoquer un «changement de paradigme» qui serait à l’œuvre dans ce que les médias ont décidé de nommer le printemps arabe. Si différentes les uns des autres et s'inscrivant dans des contextes parfois opposés, les insurrections populaires peuvent ouvrir en effet sur des révolutions d'inspiration démocratique qui, ici ou là, prendront peut-être en compte, après une si longue absence, quelques éléments de la Déclaration Universelle des Droits de l'homme. Pour autant, rien ne justifie que nous cédions à ce seul charme incantatoire et à un lyrisme de principe.
Après la crise entre Israël et la Turquie autour de la flotille pseudo-humanitaire, le coup d'État du Hezbollah pro-iranien au Liban, les événements en cours en Égypte par exemple ont eu pour immédiates conséquences: la fin de tout contrôle sur les régions du Sinaï, aux mains plus que jamais de bandes bédouines (et soudanaises) esclavagistes et trafiquantes d'armes de provenance iranienne dont chacun connaît les destinataires; le chantage à l'alimentation en gaz d'Israël; la provocation de deux navires de guerre iraniens passant le Canal de Suez pour mouiller en Syrie; et l'arraisonnement d'un cargo par les Israéliens bourré d'armes de guerre, y compris des missiles sol-air. Depuis plus de trois semaines également, des éléments du Djihad islamique, contrôlés ou non par le Hamas, seul l'avenir le dira, envoient depuis Gaza des roquettes et missiles sur les villes israéliennes du Sud à une demi-heure de Tel-Aviv et menacent les forages off-shore de gaz et de pétrole, tandis qu'un terrible attentat est destiné à mettre le feu aux poudres dans l'opinion israélienne, qui a souvent reçu avec discernement les événements. Le but recherché par le Djihad islamique, sinon par le Hamas, est de continuer à profiter de la fermeture politique, en effet suicidaire, des gouvernants israéliens, pour les pousser au piège de l'attaque militaire d'envergure, et après le coup d'arrêt porté par Khadafi, enrayer mortellement ledit printemps arabe dont ni l'Iran ni la Syrie ne veulent, bien évidemment.
Si une opération israélienne s'engage, l'action fondamentalement libératrice de la coalition qui a remis en mouvement le processus de libération en Libye et dans d'autres pays s'arrêtera aussitôt, au grand bénéfice des dictatures aujourd'hui menacées ou qui demain pourraient l'être. Il est malhonnête de postuler que la magie des «changements de paradigme» puisse avoir gagné subitement le "monde arabe" et continuer à accuser de colonialisme, de croisades, ou de suspecter d'intérêts à court terme autour du pétrole une coalition qu'on commence par réduire au seul "Occident", vecteur de tous les mots et possédés par d'éternels démons. Au contraire, depuis l'intervention de la coalition, les rebelles syriens ont relevé la tête et leur succès, qui affaiblirait du même coup les pro-iraniens du Hezbollah, du Djihad islamique et du Hamas, pourrait alors vraiment changer l'ensemble de la donne politique. Et si — enfin — les forces démocratiques d'Iran parviennent à se lever et à renverser leur dictateur, nous pourrions alors espérer fermement dans la nouvelle donne. Et pas seulement dans les pays arabes, pour le coup. Mais si la répression terrible qui s'abat sur les Iraniens parvient à les faire taire encore longtemps, alors la catastrophe est imminente, devant nous. Nous tous.
© Photographie: Une femme au Caire. Auteur non identifié, tous droits réservés.