Il va être temps sans doute d'inaugurer une nouvelle série sur Ralentir Travaux, qui s'appellerait, par pur désespoir: Sans commentaires. À joindre en annexe à notre dossier: Vers 2012.
PS: Terra Nova nie vouloir «abandonner» les classes populaires. — Olivier Ferrand, patron du cercle de réflexion Terra Nova, imaginait-il la polémique que soulèverait son rapport suggérant à la gauche de concentrer sa campagne sur les classes moyennes plutôt que sur les couches populaires? On peut en douter. Pourtant, il a fait l'effet d'une bombe. Mais au-delà de ce texte, intitulé «Gauche: quelle majorité électorale pour 2012?», c'est la personnalité de ce soutien à Dominique Strauss-Kahn qui est contestée par certains au PS.
À la suite de la médiatisation du rapport de la fondation, notamment au travers d'un article du Monde du 11 mai, l'UMP, mais aussi une partie de la gauche, accusent désormais une frange du PS «d'abandonner les classes populaires». Dans son texte, Terra Nova explique: «La classe ouvrière n'est plus le cœur du vote de gauche, elle n'est plus en phase avec l'ensemble de ses valeurs.» Il n'est pas faux, selon les dernières enquêtes d'opinion, que le premier parti «ouvrier» en France est désormais le Front national. De même, Nicolas Sarkozy a fait de bons scores dans les classes populaires en 2007.
Le club de réflexion estime que le Parti socialiste doit s'adresser à d'autres cibles en priorité: les femmes, les jeunes diplômés, les minorités et les habitants des grands ensembles urbains. Autant de catégories qu'il rassemble sous le mot «outsiders», par opposition aux «insiders». Cette analyse — moins caricaturale que ne le suggèrent ses adversaires — a déclenché un tollé. Ainsi, Olivier Dartigolles, le porte-parole du PCF, a-t-il fustigé un «sabordage idéologique»: cette approche constituerait, selon lui, «une formidable offrande faite à l'extrême droite, qui n'attend que cela en se positionnant masquée sur le terrain social».
L'UMP a immédiatement sauté sur cette polémique. Son patron, Jean-François Copé, a accusé les socialistes de faire preuve d'un «cynisme électoral qui consiste à sacrifier une partie des Français au nom d'intérêts électoraux et marketing». Il a jugé, dans un communiqué, que «le candidat du PS ne sera pas celui des classes populaires ni des classes moyennes, mais celui des études de marché».
Laurent Fabius, ancien premier ministre socialiste, a tenté de relativiser ce début de polémique en expliquant qu'il était en désaccord avec ce texte. «Si vous abandonnez les électeurs, vous pouvez faire des choses très intéressantes mais pas de politique», a-t-il relevé, ajoutant qu'il souhaitait un programme «qui concerne à la fois les couches populaires et les couches moyennes». C'est également le cas de François Kalfon, délégué général aux études d'opinion au PS et proche de Dominique Strauss-Kahn. Co-auteur de L'Équation gagnante (1), un livre sur la stratégie de la gauche, il juge que «s'adresser aux jeunes, c'est un marqueur politique majeur. Mais les salariés en décrochage représentent un électorat bien plus important, tout comme les seniors».
Vendredi 13 mai, Olivier Ferrand a publié une réponse à la polémique sur le site de la fondation, jugeant que son rapport a été «instrumentalisé à des fins politiciennes». Il développe: «Terra Nova ne propose en aucun cas d'abandonner les milieux populaires», mais «la grille de lecture pertinente n'est plus les classes sociales mais la division outsiders-insiders». Pour lui, la première catégorie, celle que le PS doit viser en priorité, est constituée par «les habitants des quartiers populaires, les minorités, les jeunes déclassés, les mères célibataires en situation précaire…». Il conclut en indiquant que «l'identité politique des vrais défenseurs des milieux populaires, […] c'est, cela a été et cela sera toujours la gauche — à condition, toutefois, qu'elle ne renie pas ses valeurs». — Article non signé paru sur Le Monde.fr.
1. Laurent Baumel et François Kalfon: L'Équation gagnante. La gauche peut-elle enfin remporter l'élection présidentielle? Le Bord de l'eau, juin 2011.
© Photographie: Jean Jaurès, photographe inconnu.