Nous écrivions le 2 juillet 2010, dans Vers l'implosion Ponzi:
«À travers la crise grecque — une métaphore de l'état de notre monde — ladite "coordination mondiale" a trouvé 500 milliards d'euros plus 250 du FMI (présidé par un éminent représentant de la gauche française, rappelons-le en passant) pour que les États puissent payer leurs dettes vis-à-vis des banques, qui, ainsi refinancées, peuvent, si elles le veulent — mais pourquoi diable ne le voudraient-elles pas, puisqu'elles en fixent règles et conditions? — prêter aux États qui les leur rendront avec intérêts, avec de l'argent qu'ils n'ont pas et qu'ils emprunteront donc à nouveau. Avec l'accord théorique, politique et pratique de tous les gouvernants, dirigeants, décideurs et prescripteurs d'opinion, chaque emprunt est en somme garanti par un emprunt suivant, nécessairement plus élevé. La belle invention que voilà, nous rappellerait Charles Ponzi, l'homme qui trompa même Mussolini et s'envola vers le Brésil avec la caisse de l'État fasciste.»
À peine un an plus tard, nous y voilà. Entre temps, les mots ont continué de souffrir et les peuples avec eux: des mouvements de masse importants dans divers pays aussitôt qualifiés de «révolutions», comme si les choses étaient déjà jouées et sans doute avec pour effet de contribuer à les exorciser, histoire que les affaires puissent reprendre leur cours; et aujourd'hui, dans une même inflation et dans une même perversion verbale, les journaux bruissent de «faillite», de «dépôt de bilan» de la Grèce, comme si un pays n'était au fond qu'une vulgaire entreprise, appelée à payer ou à disparaître, selon les solutions chères au Père Ubu, si grand spécialiste du croc à phynance qu'il finit par trouver plus simple de dissoudre le peuple. Alors que, pour parler vrai, il suffirait de dire que le FMI et l'OCDE, suivis en cela par la Commission Européenne ont épousé clairement la cause des puissances financières, ou n'ont pas pu empêcher de se la laisser imposer, peu importe: ces dogmatiques libéraux ultra qui, pour le dire avec l'économiste Christophe Ramaux, maître de conférences à Paris-I, ont «clairement conduit le monde au bord du précipice, ce qui a provoqué du chômage mais aussi de la dette publique» et «c’est au nom de cette dernière qu’ils entendent mener une offensive sans précédent contre l’État social, afin d’asseoir un modèle dont la faillite est pourtant avérée» (article complet en PDF).
On se souvient: en octobre 2009, le gouvernement socialiste grec révélait qu'avec la complicité des agences de notations, le gouvernement précédent avait truqué les statistiques. Une falsification qui suffirait à disqualifier définitivement tous les experts économistes de nos gouvernements puisqu'ils ont été incapables de la débusquer, et pourtant ils parlent encore, plus mal que jamais. On peut disposer ici d'un clair historique. Pour aller à l'essentiel, les prêts évoqués dans notre note précédente ne suffisant plus, voilà que l'Union Européenne et le FMI exigent un nouveau plan d'austérité et un immense plan de privatisations: à part les monuments et les sites, on ne voit d'ailleurs pas pourquoi, sont privatisables au moins les transports, l'énergie, l'eau, les banques évidemment et les télécoms, liste non exhaustive.
Que l'austérité précédente (hausse de la TVA, baisse du salaire des fonctionnaires, gel des retraites, suppression du treizième mois), n'ait pu qu'aboutir à des baisses immédiates du pouvoir d'achat, et donc aggravé la récession économique, un enfant pouvait le prévoir. Tandis qu'un magasin sur trois a fermé en un an, que le chômage s'est envolé, les agences de notation largement complices des falsifications ont joué les pères Fouettard avec leurs mentions auto-réalisatrices, les banques se sont effarouchées, c'est en ce moment leur seconde nature. Et le même enfant peut également prévoir dès aujourd'hui que les privatisations à la va-vite vont se transformer en une braderie que se partageront les puissances financières en vue d'immédiats rendements. Et dans un mois dans un an, toujours moins d'argent, moins d'emploi et, en prime, leur État privé des revenus qui auraient pu naître d'un secteur public mieux géré, «les Grecs» devront trouver à nouveau des prêteurs pour courir après une dette qui continuera à s'aggraver.
Nous voilà abreuvés de chiffres apocalyptiques et désespérants: la dette est de 350 milliards, soit 150 % du PIB, il faudra cent ans à des taux de croissance impossibles pour que la Grèce s'en sorte. Et, remarque en passant, l'ensemble des privatisations ne pouvant au mieux rapporter que 22 milliards (parions ici qu'il en rapportera beaucoup moins sans parler de la perte sèche de revenus dans l'avenir), il faudra en trouver encore au moins cent trente, et ce, dans les mois qui viennent. Crise de liquidités, crise de solvabilité, défaut de payement, tous ces mots et tous ces chiffres pour nous démontrer que la catastrophe est là, mais qui n'a pas compris, et depuis bien longtemps? Reste un peuple qui tente de se rappeler à notre souvenir, et bientôt deux ou trois autres qui pour le moment ne parviennent, au mieux, qu'à s'indigner, dans l'été européen.
Tout en se demandant s'il n'est pas déjà bien tard, ce même enfant qui peut aussi expliquer à certains professeurs et ministres la réalité du changement climatique, non point à une échéance de cent ans mais de dix ou vingt de façon sûre, connaît les solutions qui s'imposent:
• Tôt ou tard, quoi qu'en disent les autorités grecques, les créanciers devront renoncer à une partie de leur dette.
• Au lieu de faire miroiter au peuple grec une misère noire, l'Union Européenne devra employer ses fonds à des investissements industriels de moyen et de long terme. La Chine l'a compris depuis au moins un an: elle achète massivement à la Grèce des bons du Trésor, c'est-à-dire de la dette, et investit là-bas pour les décennies futures. Elle a déjà acquis le port du Pirée, et s'apprête à investir massivement dans le tourisme.
• Politiquement enfin, cette crise étant d'abord une crise des recettes plus que des dépenses, au lieu de continuer à raconter des contes à dormir debout à son peuple et à nier les évidences, le gouvernement grec, celui-là ou un autre, doit engager d'urgence une réforme fiscale qui fasse payer clairement ce que les classes aisées volent à leur pays, le tiers du PIB a elle toute seule, sous la forme d'économie informelle. Quant à l'évasion fiscale, elle est estimée à 340 milliards d'euros, soit la totalité de la dette grecque. Exactement comme les sommes volées par Ben Ali représentaient la totalité du déficit commercial de la Tunisie. Exactement aussi récupérables que l'argent volé par le poète sanguinaire libyen au peuple qu'il persécute.
Alors les enfants pourront commencer à espérer.
© Georges Rouault: Exposition Au pays du père Ubu, Galerie Yoshii, Paris, mai-juin 2011.