«Mariage pour tous», donc. Ne nous arrêtons pas à l'absurdité trop évidente du slogan, un produit de plus du parler pour ne rien dire, là encore la mort des mots, l'agonie du langage. De l'oxymore comme art de vivre. Ce texte de Pierre-Louis Rémy touche soudain à la réalité de certaines des préoccupations auxquelles j'ai, comme tant d'autres pères génitaux et sociaux, été confronté, même si les contextes et les situations sont évidemment différents.
Ne
touchons pas aux repères de la filiation. — La question du mariage
homosexuel, et celle de l'adoption, touchent à nos repères fondamentaux.
C'est pourquoi chacun doit s'exprimer. Je le fais, nourri de mon
histoire et de mes convictions personnelles, celle d'un père de famille
dont deux enfants adoptés; celle aussi du délégué interministériel à la
famille, sous l'autorité de Martine Aubry, sous le gouvernement Jospin,
chargé d'animer et de coordonner l'action des pouvoirs publics en
matière de politique de la famille.
Dans
une telle fonction, on prend bien la mesure de la diversité de la
société française dans ses situations et ses opinions sur la famille, et
donc de la difficulté, mais aussi de la nécessité de dégager des
repères communs à tous.
Certains
points ne font à mes yeux pas débat: celui de la qualité de la
relation dans un couple homosexuel. Bien sûr deux hommes ou deux femmes
peuvent s'aimer, profondément, tendrement. Et dans ce contexte,
l'égalité des droits et des devoirs avec les couples hétérosexuels
mariés est un objectif totalement légitime.
Promis
par le candidat François Hollande, il doit être mis en œuvre. Mais
faut-il pour cela faire rentrer les couples homosexuels et les couples
hétérosexuels dans le même cadre juridique?
Là
est le fond du débat, sur lequel il faut prendre position.
Considérons-nous qu'un couple homosexuel et un couple hétérosexuel sont
identiques? Comme, je crois, la plupart de nos concitoyens, je pense que
non.
Quels
que soient les débats sur l'identité sexuelle, il y a une évidence:
notre espèce, l'humanité se reproduit, dure, existe par l'union
hétérosexuelle. L'enfant ne naît pas seulement de la rencontre d'un
spermatozoïde et d'un ovule, mais de la relation, et il faut le
souhaiter pour lui, de la relation d'amour, entre un homme et une femme.
Bien sûr, dans des situations particulières de stérilité, la médecine
est venue à l'aide des couples. Et le désir prométhéen de l'homme le
pousse parfois à imaginer des meilleurs des mondes où la technologie
alliée à la biologie permettrait de dominer tous les mécanismes de la
vie.
Je
suis certain que l'immense majorité de nos concitoyens récuserait une
société où des usines à enfants fourniraient le produit désiré à des
couples désireux de mettre en œuvre «un droit à l'enfant».
Gardons-nous
de toucher, même subrepticement, même implicitement à des repères
fondamentaux, au nom de je ne sais quelle modernité, ou parce que «d'autres pays l'ont déjà fait». Il n'y a pas de vie en société, sans
repères partagés. La source de la transmission de la vie en est un.
Mettre dans le même cadre juridique l'union homosexuelle et l'union
hétérosexuelle conduit à gommer ce repère central: c'est la
différenciation sexuelle, homme et femme, qui permet la transmission de
la vie.
Progrès
incontestable sur le plan de la progression des droits, le pacs était
déjà porteur d'une telle confusion des repères en inscrivant, dans un
même dispositif l'union hétérosexuelle et l'union homosexuelle. Le fait
d'étendre le mariage à l'union homosexuelle renforce cette confusion. On
pourrait atteindre le même objectif d'égalité des droits et de
reconnaissance de la profondeur de l'engagement dans un couple de même
sexe, en créant un cadre juridique analogue, mais distinct de celui du
mariage.
Bien
sûr la question de l'adoption devrait être traitée dans la même
perspective. Elle est mise en avant au nom d'un prétendu «droit à
l'enfant». Méfions-nous des mots: avoir un enfant est en général une
joie, peut être l'objet d'un désir; sûrement pas un droit: on ne
possède pas un enfant.
On
peut comprendre le désir d'enfants des couples homosexuels. Et je suis
convaincu qu'ils peuvent s'occuper d'enfants avec beaucoup d'attention
et d'affection. Bien sûr on peut aimer un enfant qu'on n'a pas fabriqué.
J'en porte témoignage dans mon histoire personnelle. Mais pour cette
raison, je sais aussi la quête des enfants adoptés sur leur origine:«Qui m'a engendré»; «D'où je viens»?
Faut-il,
pour répondre au désir d'enfants de couples homosexuels, leur ouvrir le
droit à l'adoption plénière, en gommant la référence au père et à la
mère, comme semble le faire l'avant-projet de loi et ainsi prendre le
risque de bouleverser les repères de la filiation.
Et
ceci pour des effets concrets en matière d'accueil d'enfants
extrêmement modestes. Accepter une filiation par deux parents de même
sexe pourrait bien, en outre, ouvrir, un jour ou l'autre, la porte à ce
qui est refusé aujourd'hui, la procréation médicalement assistée pour
les femmes, et le recours à des mères porteuses pour les hommes,
puisque aura été consacrée une forme de «droit à l'enfant» et qu'aura
disparu le repère de la filiation par un père et une mère.
Ce
qui est en jeu dans ce projet de loi, la seule d'ailleurs qui importe à
ceux qui ont fait du mariage et de l'adoption homosexuels un objectif
de société majeur, c'est la question des repères. Car le droit de la
famille n'est pas seulement l'outil de la résolution de problèmes
pratiques; il porte une valeur symbolique, il pose des repères.
Au
moment où de toute part s'élèvent légitimement des voix pour
s'inquiéter de la perte de repères dans la société, faut-il toucher à
cet élément essentiel de l'identité qu'est la filiation?
Certains
le pensent et souhaitent voir évoluer les repères sur la filiation,
l'enfant, la différenciation des sexes. Il faut alors qu'ils l'expriment
clairement. En ce qui me concerne je ne le souhaite pas. Et je crois
que cela n'empêche pas d'offrir aux couples de même sexe l'égalité des
droits. — Pierre-Louis Rémy, haut fonctionnaire, délégué
interministériel à la famille sous le gouvernement Jospin, président du
Centre français de protection de l'enfance (CFPE). Le Monde, 9 novembre
2012.
© Pablo Picasso: Maternité à la pomme (1971). Musée Picasso, Paris.