Les éditions Montparnasse ont publié un riche coffret de vingt-cinq DVD réunissant les mises en scène des quarante dernières années du vingtième siècle. Nous avons déjà évoqué à ce propos
La Double Inconstance de Marivaux. Revenons-y aujourd’hui sous la plume de Philippe Méziat, dont nous avons pu récemment lire sa note sur Le Bourgeois Gentilhomme aux Bouffes du Nord.
Écrin, coffret, boîte à bijoux. Un thème classique, surtout en ces périodes de fin d’année. Tirons donc de l’étui quelques perles fines, sachant que les autres, pour être de culture, n’en sont pas moins précieuses.
Et d’abord les acteurs: il y en a un au moins qui tire son épingle du jeu à chaque coup, c’est Robert Hirsch. Il le dit d’ailleurs à un moment clé de la pièce de Georges Feydeau Un fil à la patte: «Je suis joué». Joué par des circonstances invraisemblables sur lesquelles nous ne reviendrons pas — «Il faut bien avoir le courage de vous parler franchement: c’est plein d’esprit, mais ça ne veut rien dire», disait Feydeau lui-même — mais joué aussi par lui-même, par ce corps qui se vrille, qui donne à voir quelque chose des nerfs à vif, et qui fait que même à des années de distance, même à travers le petit écran et les moyens modestes de l’époque, on en ressent quelque chose encore à travers notre vision et notre écoute. Il irradie toujours.
Car le théâtre est affaire de corps. Corps de textes évidemment, mais aussi présence des acteurs (voix, regard), et présence sensible des spectateurs qui jouent leur rôle, au point que les pièces captées sans public semblent (aux exceptions près que nous allons examiner) plus lointaines encore, avec déjà l’effet de distance de la captation frontale par une télévision qui n’a pas eu toujours les moyens d’affirmer son langage propre, du moins en ses débuts.
Écrin, coffret, boîte à bijoux. Un thème classique, surtout en ces périodes de fin d’année. Tirons donc de l’étui quelques perles fines, sachant que les autres, pour être de culture, n’en sont pas moins précieuses.
Et d’abord les acteurs: il y en a un au moins qui tire son épingle du jeu à chaque coup, c’est Robert Hirsch. Il le dit d’ailleurs à un moment clé de la pièce de Georges Feydeau Un fil à la patte: «Je suis joué». Joué par des circonstances invraisemblables sur lesquelles nous ne reviendrons pas — «Il faut bien avoir le courage de vous parler franchement: c’est plein d’esprit, mais ça ne veut rien dire», disait Feydeau lui-même — mais joué aussi par lui-même, par ce corps qui se vrille, qui donne à voir quelque chose des nerfs à vif, et qui fait que même à des années de distance, même à travers le petit écran et les moyens modestes de l’époque, on en ressent quelque chose encore à travers notre vision et notre écoute. Il irradie toujours.
Car le théâtre est affaire de corps. Corps de textes évidemment, mais aussi présence des acteurs (voix, regard), et présence sensible des spectateurs qui jouent leur rôle, au point que les pièces captées sans public semblent (aux exceptions près que nous allons examiner) plus lointaines encore, avec déjà l’effet de distance de la captation frontale par une télévision qui n’a pas eu toujours les moyens d’affirmer son langage propre, du moins en ses débuts.
Mais venons-en aux perles. Deux sont dues à ce que le metteur en scène de la pièce au Français est aussi le réalisateur en télévision, et que les moyens dont il dispose ont pu lui permettre de faire exister et consister ce qu’on appelait alors des «dramatiques». Raymond Rouleau a donc réalisé une Ondine de Jean Giraudoux et un Ruy Blas de Victor Hugo qui provoquent aujourd’hui encore admiration et émotion. La première offre de surcroît l’interprétation dans le rôle titre d’une Isabelle Adjani transparente, lunaire et cristalline à la fois, évidemment et heureusement liquide. Méditation légère et profonde sur l’amour, Ondine réserve des moments de grâce pure, souvent induits par la langue elle-même, et donne l’occasion de remettre à sa digne place l’auteur de La guerre de Troie n’aura pas lieu qu’on a un peu vite oublié chez nous pour de sombres raisons de prises de positions politiques qui ne furent pas, en effet, absolument accordées à ce que l’époque exigeait. Dans la lignée d’un Musset avec la même légèreté apparente, et une sorte de distance lumineuse.
Encore plus haut, nous mettrons le Ruy Blas de Raymond Rouleau, parce qu’il trouve avec cette pièce de Victor Hugo les codes d’une télévision qui a compris qu’il fallait jouer avec la proximité des acteurs, soit user des gros plans, des mouvements de caméra, bref nous introduire au cœur de la chose, et cela en direct: ce qu’on appelait alors, nous l’avons dit, une dramatique. On entend le déplacement des appareils de prise de vue, tous ces petits bruits qui font le spectacle vivant. Le réalisateur a seulement prévu un minimum de scènes tournées à l’avance, et une bande son usant du Requiem de Verdi, qui n’est d’ailleurs pas crédité au final. Le miracle, c’est que la langue, la musique du «plus grand poète français, hélas!» nous est restituée dans sa vivacité, ses rythmes, ses brisures, son allant, ses allegros, ses andante, ses prestissimo et tutti quanti. Les alexandrins de l’auteur des Misérables ne sont pas parfaits, et c’est justement cette imperfection qui en fait le prix. Hugo n’aimait pas – dit-on – la musique. C’est qu’il en fait sans cesse, c’est que sa phrase chante, s’élève, se suspend, accélère, médite, finalement touche au plus profond dans cette bizarre affaire de «vers de terre amoureux d’une étoile». Belle équipe d’acteurs, dominée par le sombre Paul-Emile Deiber (Don Salluste de Bazan), conspirateur décidé à perdre la reine (Claude Winter, blanche et fragile), et le rutilant Jean Piat (Don César de Bazan) dont chaque apparition séduit par une belle insolence. Voilà ce que la télévision pouvait faire en 1972 (quarante ans quand même), que nous retrouvons quasiment intact aujourd’hui grâce à l’INA, et aux éditions Montparnasse. — Philippe Méziat, son site personnel.
Encore plus haut, nous mettrons le Ruy Blas de Raymond Rouleau, parce qu’il trouve avec cette pièce de Victor Hugo les codes d’une télévision qui a compris qu’il fallait jouer avec la proximité des acteurs, soit user des gros plans, des mouvements de caméra, bref nous introduire au cœur de la chose, et cela en direct: ce qu’on appelait alors, nous l’avons dit, une dramatique. On entend le déplacement des appareils de prise de vue, tous ces petits bruits qui font le spectacle vivant. Le réalisateur a seulement prévu un minimum de scènes tournées à l’avance, et une bande son usant du Requiem de Verdi, qui n’est d’ailleurs pas crédité au final. Le miracle, c’est que la langue, la musique du «plus grand poète français, hélas!» nous est restituée dans sa vivacité, ses rythmes, ses brisures, son allant, ses allegros, ses andante, ses prestissimo et tutti quanti. Les alexandrins de l’auteur des Misérables ne sont pas parfaits, et c’est justement cette imperfection qui en fait le prix. Hugo n’aimait pas – dit-on – la musique. C’est qu’il en fait sans cesse, c’est que sa phrase chante, s’élève, se suspend, accélère, médite, finalement touche au plus profond dans cette bizarre affaire de «vers de terre amoureux d’une étoile». Belle équipe d’acteurs, dominée par le sombre Paul-Emile Deiber (Don Salluste de Bazan), conspirateur décidé à perdre la reine (Claude Winter, blanche et fragile), et le rutilant Jean Piat (Don César de Bazan) dont chaque apparition séduit par une belle insolence. Voilà ce que la télévision pouvait faire en 1972 (quarante ans quand même), que nous retrouvons quasiment intact aujourd’hui grâce à l’INA, et aux éditions Montparnasse. — Philippe Méziat, son site personnel.