Mal nommer
un objet, c'est ajouter

au malheur de ce monde.

Albert Camus.


samedi 3 octobre 2009

I have a dream: le geste et la parole




Nous sommes tous conscients que les différents discours programmes de Barack Obama depuis son historique élection — discours de Prague, de Moscou, d'Accra, et en particulier ici celui du Caire — ont changé la donne et même déjà eu quelques concrètes conséquences sur l'état du monde. Une incertitude demeure, est-elle simplement en réserve? Nul ne sait vraiment s'il lui en coûterait, et combien, de dire vraiment, nettement, non au président des États-Unis aujourd'hui.

Ainsi, cette main tendue qui menace de se refermer comme un poing, le président iranien l'a laissée pour l'instant vaguement ballante, les siennes étant trop occupées à applaudir à sa brillante réélection dès le premier tour, à réprimer son opposition et à rédiger — ou, d'un index inflexible, à intimer l'ordre qu'on lui rédige — son dernier discours à l'ONU, énième provocation énième dénégation. Mais, définitivement et irréversiblement affaibli, il a tout de même été contraint d'autoriser l'AEIE à inspecter une usine atomique (ou une sorte de Theresienstadt dans le genre?) dont les Israéliens ont révélé l'existence au monde et aux services de renseignements américains. Si le sectaire du Mahdi s'est bien gardé de mettre son homologue américain devant l'embarras d'une pure et simple fin de non-recevoir, c'est qu'il n'en a certainement plus tout à fait la force, mais c'est aussi histoire de gagner du temps, l'allié décisif de la nucléarisation militaire de l'Iran depuis toujours.

Ainsi de la pitoyable réponse de Benyamin Netanyahou au discours du Caire, où Barack Obama mettait en avant la nécessité d'en finir avec les colonisations et les occupations — une subtile casuistique israélienne distingue les colonies répondant à une "croissance naturelle", celles de "priorité nationale comme en Cisjordanie, les "territoires tampons", les territoires retenus" les implantations "légales" et "sauvages", les bibliques renominations de "Judée-Samarie" et leurs dérives messianiques sous la férule du Bloc de la Foi, la proclamation de Jérusalem "capitale éternelle", et la "clôture de sécurité", jusqu'au "désengagement unilatéral" d'Ariel Sharon qui a eu le mérite de montrer que la chose était possible). "Cesser" les occupations, et déjà, trois mois plus tard, simplement les "modérer". Là aussi, l'administration américaine va-t-elle vraiment se fâcher pour de bon et quand? si les implantations (qui continuent sans modération devant une gauche israélienne, naguère quasi majoritaire et à peine capable aujourd'hui de les recenser), rendent impossible tout pas en direction de la paix, et, à la joie sincère du sectaire iranien, amènent Israël à se rayer tout seul de la carte?

Après avoir lu Aujourd'hui ou peut-être jamais, pour une paix américaine au Proche-Orient, le dernier livret-somme d'Élie Barnavi à lire d'urgence (fort court, il ne se résume pas, puisque, d'une certaine façon, il dit et redit tout), I have a dream.

J'écoute la radio:
«Nous interrompons nos programmes pour une nouvelle qui pourrait être de première importance. Ce matin, huit heures, heure locale, le président Mahmoud Abbas a annoncé solennellement la création de l'État palestinien souverain. Par la bouche même de leurs présidents, Israël et les USA l'ont aussitôt reconnu, suivis de la Chine et de la Russie. Un conseil extraordinaire de l'ONU a inscrit en urgence à l'ordre du jour la question de l'admission très prochaine du nouvel État à l'Assemblée des Nations Unies. Devant l'attitude unanime des membres du Conseil de Sécurité, l'ONU accueillera très bientôt son 193e membre.

«D'ores et déjà et conformément aux "paramètres Clinton" (23 décembre 2000 à Taba), une ligne de démarcation provisoire entre les deux États est sur le point d'être fixée sur la base des échanges entre terres d'implantation des colonies et terres actuellement sous souveraineté israélienne, ce qui concerne 3% de la superficie de la Cisjordanie. De même, le nouvel État exerce désormais toute souveraineté en tous domaines et s'engage à demeurer non militarisé pour l'instant.

«Cette annonce a soulevé l'espoir et même certaines manifestations spontanées de joie dans toutes les grandes villes palestiniennes et israéliennes, mais provoque un certain scepticisme du Hamas, du Hezbollah, et dans les milieux gouvernementaux iraniens, qui y voient "une nouvelle ruse de l'impérialisme et des lobbies sionistes", selon des sources généralement bien informées. Les principaux représentants de la diaspora palestinienne déclarent que, dans ces conditions, ils exerceront leur droit au retour dans leur patrie et encourageront leurs compatriotes, y compris ceux vivant dans l'État voisin d'Israël, à procéder ensemble à la construction de leur pays.

«Faut-il y voir des signes? Les porte-paroles des deux présidents, palestinien et israélien, ont conjointement indiqué que les premières décisions concrètes concerneront les modifications à apporter d'urgence aux manuels scolaires dans les deux pays.
D'autre part, une association américaine de couples mixtes en exil a même demandé que les deux États envisagent bientôt la création d'implantations spécifiques dans chaque pays, afin de les recevoir pour les aider à réussir leur retour sans mettre immédiatement leur vie en péril.

«Enfin, nous apprenons à l'instant que le Président Barack Obama se rendrait très prochainement à Jérusalem-Al Quds, où s'installeront probablement les capitales des deux États, pour deux importants discours, destinés à préciser les prochains développements.»

I have a dream. C'est si simple qu'on peut se demander pourquoi ce n'est pas encore advenu. C'est qu'il faut des gouvernements plus forts pour décider de la paix que pour indéfiniment tirer profit et légitimité de la guerre.

© Image: Fayoum sur bois en provenance d'Er Rubayat, Égypte, 350-370 AC.