Mal nommer
un objet, c'est ajouter

au malheur de ce monde.

Albert Camus.


lundi 21 mai 2012

J Call en appelle au simple bon sens



La diplomatie française au Proche-Orient ne doit pas désigner un coupable. —
Dans une tribune intitulée Le Proche-Orient dans l'impasse (Le Monde du 10 mai 2012), des diplomates français appellent le nouveau président français à prendre une initiative en faveur de la paix qui consacrerait la reconnaissance d'un État palestinien.

Les auteurs y rappellent quelques évidences. Que la paix au Proche-Orient passe par la création d'un État palestinien et donc par la fin de l'occupation. Que les Palestiniens ont droit à leur État. Que la logique du «processus de paix» engagé il y a vingt ans est arrivée à son terme. Que le blocus de Gaza choque les consciences. Que le «mur de séparation» est contestable. Que la création de nouvelles implantations affecte les conditions de vie des Palestiniens et rend plus incertaine la solution à deux États. Qu'enfin le premier ministre Benyamin Nétanyahou semble considérer que le statu quo est favorable à Israël, son objectif inavoué étant de gagner du temps pour grignoter toujours plus de territoires en Cisjordanie.

Sur ces différents points, nous ne pouvons que les rejoindre, malgré certaines formulations abruptes. Mais rappeler des évidences de manière sélective est une chose; créer une dynamique susceptible de promouvoir la paix en est une autre. C'est pourquoi nous doutons qu'en dépit des intentions louables de ses diplomates, ce texte puisse constituer une piste de résolution pacifique du conflit israélo-palestinien.

En effet, la démarche des auteurs consiste à désigner Israël comme seul coupable du blocage du processus de paix. Or, d'aussi fins connaisseurs de la question ne devraient pas se satisfaire d'un jugement aussi simpliste. Car la situation est, pour une large part, le résultat de l'échec des négociations de Camp David et du déclenchement de la seconde Intifada en 2000, événements dans lesquels les responsabilités sont partagées, comme les dirigeants palestiniens l'ont eux-mêmes reconnu.

On ne saurait non plus ignorer que le blocus de Gaza, aussi critiquable soit-il, résulte de ce que depuis l'évacuation — unilatérale, certes, mais totale — de la bande de Gaza par les Israéliens en 2005, ce territoire contrôlé par le Hamas sert de base à des actes de guerre, notamment des tirs de missiles visant la population civile.

Ni que la «barrière de sécurité» a permis d'éviter des attentats en Israël. Il est normal de pointer les responsabilités d'Israël mais il est injuste et contre-productif de ne pointer que les siennes: toute solution politique au Proche-Orient doit reposer sur la prise en compte des droits légitimes du peuple juif israélien et du peuple arabe palestinien à une existence souveraine dans la sécurité.

Les paramètres d'une paix durable sont connus: création d'un État palestinien en Cisjordanie et à Gaza avec Jérusalem-Est pour capitale, évacuation de la Cisjordanie sur la base de la ligne de 1967 avec des rectifications de frontières consenties, arrangements sécuritaires dans les territoires évacués par Israël, solution négociée à la question des réfugiés palestiniens permettant leur insertion définitive soit dans le futur État palestinien soit dans leurs pays d'accueil. Les négociations menées lorsque Ehoud Olmert était premier ministre ont montré que les deux parties acceptent ces principes et que leurs positions ne sont pas si éloignées qu'on pourrait le croire. Seuls le Hamas et le Hezbollah, soutenus par l'Iran, s'y opposent toujours, ce que les auteurs de l'article oublient de rappeler.

Tous les sondages indiquent que Palestiniens et Israéliens sont favorables à un accord de paix reposant sur ces principes; mais aussi que, d'un côté comme de l'autre, les populations ne croient pas avoir en face d'elles un partenaire fiable avec lequel négocier. Là réside le blocage psychologique sur lequel s'appuient — des deux côtés — les adversaires d'une solution pacifique.

Dans ces circonstances, la dernière chose que doivent faire la France et l'Europe est de jouer les donneuses de leçons, en pointant du doigt une des parties (Israël, en l'occurrence) et en la menaçant de rétorsions, voire de boycottage, comme le demandent en filigrane les auteurs de la tribune. Cela signerait le glas de l'influence française et européenne dans la région: pour contribuer aux négociations, il faut avoir l'oreille des deux parties.

Pour enclencher une nouvelle dynamique, la France et l'Europe doivent au contraire se positionner comme un «tiers de bonne foi» qui s'efforce de mieux faire comprendre à chacune des deux parties le point de vue de l'autre et, une fois un compromis trouvé, piloter le programme d'aide internationale qu'il faudra mettre en place pour construire un Proche-Orient stable et pacifique.

Les Européens avec les Américains doivent travailler à une initiative commune qui réaffirmerait les paramètres de la solution au conflit et mettrait chacun des protagonistes face à ses responsabilités... et à ses contradictions! Cette démarche pourrait par exemple prendre la forme d'une relance officielle de l'Initiative arabe de paix qui, si elle demande à être clarifiée, notamment sur la question des réfugiés, présente l'avantage de proposer un cadre de négociation avec le monde arabe puisqu'elle a été reprise par la Ligue arabe en 2005.

Ce dont le Proche-Orient a besoin, ce ne sont pas de discours de dénonciation, mais au contraire de perspectives porteuses d'un avenir partagé: telle devrait être la tâche de la diplomatie française.

© Gérard Unger, président de JCall France — David Chemla, secrétaire général — David Elkaïm et Meir Weintrater, membres du bureau de JCall France. JCall France est le pendant français de J Street, l'association américaine qui veut à la fois soutenir Israël et la paix. Cette tribune libre est parue dans Le Monde en date du 22 mai 2012.

© Photographie: Maurice Darmon, Jérusalem, Israël / Palestine, diaporama, lors d'un voyage d'études en novembre 2009.

samedi 12 mai 2012

Terra neglecta?




Ce n'est pas parce que «La France est à droite», ou «a toujours été à droite» ni parce que les électeurs «ne comprennent rien» que le Front national a réussi un tel score aux dernières élections présidentielles. Au lieu de se contenter de pareilles absurdités, les démocrates et les républicains doivent se demander pourquoi des ouvriers, des chômeurs, des gens en situation de précarité, des pans entiers de la jeunesse, se sont par millions reconnus dans les réponses apportées par le Front National à leurs questions. En dehors du noyau traditionnel de l'extrême-droite idéologique, il est faux, injuste et contre-productif politiquement de se contenter de stigmatiser ces citoyens sous d’infamantes étiquettes: «racistes», «fascistes», «beauf» par exemple. Un infernal cercle vicieux s'est mis en place chez nos belles consciences: le Front National est incontestablement un parti raciste, or des millions de gens votent pour lui, il y a donc des millions de racistes en France. Devant un tel syllogisme, l'horreur totalitaire n'est pas forcément là où on la situe spontanément. Il est au contraire urgent de se questionner sur la difficulté — pour le moins — des forces réunies aujourd'hui derrière le nouveau président à les convaincre alors que, fragilisées et précarisées, elles devraient être leur premier souci et leur soutien principal, historique au moins, sinon spontanément logique ou naturel.

Ceux qui ont apporté leurs voix, directement — et indirectement si massivement via le président sortant —, n'ont certainement pas exprimé une adhésion doctrinale et idéologique à l'extrême-droite raciste et aux multiples connivences avec les partis fascistes européens, d'autant que ses nouveaux dirigeants — sortes de nationaux-socialistes en somme — ont habilement recyclé laïcité, résistance, peuple, et même la condamnation du capitalisme et du libre-échange, autant de formules et de thèmes de gauche par excellence. Ils ont surtout mis en évidence et probablement même consciemment discerné, tout autant que les électeurs qui se sont d'abord reportés sur le Front de Gauche, les silences, aveuglements, absences ou impasses du camp qui a gagné la présidentielle. Et nul ne se débarrassera des ces voix en les discréditant par principe. Au contraire, il faudra longtemps et patiemment étudier pourquoi cette victoire depuis si longtemps prévisible et inévitable fut finalement si courte. De «justesse», oui si on veut, mais pas forcément dans tous les sens que pourrait suggérer cette expression.

Osons ici cette pure hypothèse pour la clarté du raisonnement, mais sans sous-estimer l'immensité concrète de la tâche. Si une redéfinition de la croissance, si un coup d'arrêt porté à la désindustrialisation et aux délocalisations, si une politique d'insertion professionnelle sont pensables et nécessaires pour aider au recul du chômage parmi les moins déclassés, tout cela n'est que de peu d'effet face à la grande pauvreté et la disqualification à grande échelle qui s'abattent sur les plus démunis et qui appellent inévitablement une autre conception de la solidarité nationale et probablement européenne. C'est pourtant seulement en menant ces deux combats sans les confondre, et en atténuant d'abord la grande détresse, que le prochain gouvernement de notre pays limitera la capacité du Front national à transformer en ressentiment les terreurs économiques et sociales de ces millions de gens. Comment leur reprocher cette difficulté de la mise en perspective politique quand la colère et l'indignation sont parfois présentées en vertus par ceux qui, moins précaires qu'eux, ont plutôt le devoir et la responsabilité de proposer à tous de plus nettes formulations?

© Maurice Darmon: Ma cité à Marseille: le Parc Bellevue, 3e arrondissement, 22 février 2006. Cliquer sur l'image pour l'agrandir.

dimanche 6 mai 2012

Maurice Nadeau et Daniel Bensaïd (2008)



Dimanche 6 mai 2012. Remontons en première page cette note d'amitié à Maurice Nadeau, qui aura 101 ans ce mois-ci. Une date comme une autre pour célébrer le proche événement. Il serait beau que le hasard fît un jour de lui le doyen des Français. Avec deux portraits en prime dont on aimerait connaître les auteurs pour les remercier. Celui de gauche a été pris au Salon du Livre et de la Jeunesse de Pantin, l'an dernier, et l'autre, plus récemment encore dans une rue de Paris, sans doute dans le Quartier Latin.

Jeudi 9 septembre 2010. — Après la rédaction de notre entrée informative "Maurice Nadeau" sur Wikipedia (créée les 12/15 septembre 2009 et depuis, comme la démocratie, en développement collectif, selon les lois du genre), voici, en tête de colonne latérale, un entretien donné en 2008 à contretempsweb2, où Maurice Nadeau (né le 21 mai 1911) s'entretient une heure avec Daniel Bensaïd, (1946-2010). On peut mettre la vidéo en plein écran.

«Un titan», nous écrivait ces jours-ci Robert Redeker à propos de l'homme qui, un vendredi sur deux dans son bureau ouvrant sur la Place Georges-Pompidou et toujours bruissant d'une équipe de jeunes gens dont il aime à dire qu'il se «borne à contempler leur travail», continue à régler depuis plus de quarante ans la parution de La Quinzaine Littéraire et à enrichir jour après jour le catalogue — plus de deux cents titres parus — des éditions Maurice Nadeau/ Les Lettres Nouvelles.

© Éditions Georges Ventillard. Joë Christmas: Barbara Rogers, 1941. Ce pseudonyme pris ici par Maurice Nadeau pour signer ce roman noir est une évidente référence à Joe Christmas, personnage de Lumière d'août, de William Faulkner, publié en 1932.