Mal nommer
un objet, c'est ajouter

au malheur de ce monde.

Albert Camus.


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vendredi 27 janvier 2012

Le citron doux



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En réalité, ce n'est ici qu'une traduction mot à mot de l'arabe lim ahlou, en soufflant bien le h. Et c'est en effet exactement un citron doux. L'écorce en est jaune et poreuse, il est seulement un peu plus rond et sa pointe plus enfoncée. Rond et petit. Un même zeste blanc et épais sous la peau. Ceux qui le découvrent aujourd'hui sur Internet lancent cette rumeur qu'il serait difficile à éplucher. Rien n'est plus simple pourtant, nous le savons tous depuis notre enfance, même si nous ne l'avons plus fait depuis cinquante ans à présent: il suffit de couper une rondelle d'écorce de chaque côté et d'entailler quatre côtes en long. Exactement comme la figue de Barbarie, piquants en moins. Mais pendant tout ce temps, son parfum. Ensuite, inutile d'enlever les zestes blancs restants puisqu'on fend chaque tranche en son milieu, entre les membranes, et on ne mange que la chair, juteuse et douce de la plus simple des façons. Les gouttelettes indivises dans leur petits sacs gorgés de sucre, une saveur douce comme jamais plus. Rien comme le citron doux n'a aussi exactement le goût de son odeur. À la fin, il ne reste en main que le «livre», toutes les peaux ensemble, reliées, pages translucides.

Pages aujourd'hui de ma mémoire, le citron doux n'est plus qu'un mot, probablement intraduisible
. Pourtant son odeur est exactement celle de la bergamote, dont on dit ici qu'elle est incomestible et ne sert qu'aux parfums. Je crois que, comme autrefois les pommes de terre, nous sommes simplement des gens qui avons osé la manger. Les jeunes Tunisiens d'aujourd'hui nés en France, parmi lesquels (mais ils tiennent leurs distances et sans doute moi aussi) de plus en plus je vis, ne connaissent pas le lim ahlou, croient que je parle de l'orange douce, «orange», mot qui nous vient de l'arabe, et qu'on appelle là-bas d'un mot qui ressemble à «Portugal».

J'ai un espoir pourtant: il me vient d'une vieille dame du Sud italien qui m'assure que, chez elle, c'est ce qu'on appelle les lumie, ce qui contredirait la note savante de l'édition de la Pléiade du Théâtre de Luigi Pirandello (I, 1186) à propos de sa pièce Lumie di Sicilia, où la traductrice se justifie de traduire lumie par «cédrats». «Le cédrat, un fruit en forme de citron, n'est produit sur le pourtour méditerranéen que dans des microclimats à la température exceptionnellement égale. À peu près inconsommable autrement qu'en confit, c'est surtout en Sicile, comme en Sardaigne ou en Corse, une denrée d'exportation vers les confiseries du continent. Il représente ici, de façon emblématique, la spécificité sicilienne». Traduire est un métier qui dépasse la connaissance des langues.

Mais tout en moi s'insurge contre cette lubie, et je croirais plutôt ma vieille dame: Pirandello parle sans arrêt d'un «petit sac», et les cédrats sont des agrumes extraordinairement volumineux. Et dans une didascalie, l'homme d'Agrigente, ville sur
la côte africaine, droit devant c'est la Tunisie, écrit: «Il verse sur la table des fruits frais qui embaument». Passons sur le «verse», mais je ne crois aucun autre fruit que le citron doux capable d'embaumer en un instant une salle de théâtre, car c'est bien cela que cette instruction de Pirandello attend de la mise en scène: que, lors de la représentation le théâtre sente soudain la bergamote. Plus fort encore: Benjamin Crémieux n'avait-il pas traduit auparavant le même texte «Figues de Sicile»? Il est vrai qu'il en arrive, des choses, aux écrits de Pirandello, ma mésaventure de 1989 racontée ailleurs (lettre à Leonardo Sciascia, du 3 novembre 1989), en est une parmi d'autres, que raconte Leonardo Sciascia, que ce soit dans Pirandello de A à Z, ou dans Faits divers d'histoire littéraire et civile!

Cependant, à l'inverse des cédrats qui sont en effet assez incomestibles, du côté de chez Pirandello, les figues sont délicieuses comme des mamelles d'esclave, c'est leur nom à Racalmuto, village de Leonardo Sciascia, province d'Agrigente justement. Je n'ai jamais trouvé de citrons doux en Sicile, l'hiver est peut-être leur saison.

P.S. Oui, littéralement un post-scriptum, puisque vingt ans après,
l'internet donne à tous aujourd'hui de ce fruit l'indiscutable image et le nom exact: citrus limetta ou bergamotier de Tunisie). Avec un beau point d'interrogation à la rubrique "Origines".

dimanche 2 août 2009

Les Goûts Réunis


Vous souveniez-vous que, dans un coin du site, plusieurs recettes de cuisine, italienne et judéo-tunisienne, sont réunies sous le titre général et une table: Les Goûts Réunis? Dans notre exposé des motifs pour la création de cette section, nous écrivions le 28 mai 2007:

«Tunis [...] était le lieu d'une rencontre culinaire, une cuisine urbaine et même de capitale, unique dans toute l'Afrique du Nord, fondée sur les apports, emprunts et synthèses, et sur une qualité et une richesse des produits exceptionnelle, exaltée par l'activité d'import-export des très anciens commerçants juifs [...] Tout cela a disparu en quelques années de la surface du monde, une génération à peine [...]».

La carte ci-dessus (que vous pouvez mieux lire en cliquant dessus) indique clairement la localisation phénicienne il y a deux mille cinq cents ans. Comme si elle nourrissait ce rêve des premiers ancrages de nos traditions alimentaires.

Nous venons de relire cette section, parmi les plus anciennes du site (créé le 27 mars 2007), la corriger, la réorganiser. Vous y trouverez pour le moment, car nous comptons bien ajouter d'autres recettes, avec le temps:

Des entrées italiennes: la caponata de Sicile, le cibreo (abats de volaille) du marché de Sant'Ambrogio à Florence et plus de vingt salades tunisiennes à base de différents légumes: ajlouke (caviars au carvi), torchi (légumes accommodés en morceaux), mechouiyya (sur braise ou au four), meukliyya (poêlés), mekbouba (bouillis), salades au vinaigre, et la ooja (œufs brouillés).

Des pâtes: Au chou-fleur, aux broccoli ou au romanesco, aux fleurs de courgette, alla marinara, alla Norma, con la pummarola, all'amatriciana, bolognese ou ragù, carbonara, pappardelle al cibreo de Florence, pagliata des abattoirs du Testaccio, à Rome, alla Vucciria de Palerme (sardines, fenouil). Et la recette des pâtes fraîches domestiques.

Des poissons, des viandes et des tajines: les seppie al nero (seiches à l'encre), le polpettone, suivi du polpettone in salsa verde, en VO, l'osso buco, le tajine aux artichauts, aux pommes de terre et aux citrons confits, (viande, volaille ou poisson), l'akoud, ou aakode (tripes au cumin) et même le haggis, retour d'Écosse (version beta sous réserve de réalisation personnelle) et les carbonnades des Flandres.

Des desserts: La granite au citron des neiges de l'Etna, les oreilles d'Aman, les dattes farcies, et la mousse des mousses.

L'accès à la table générale des Goûts Réunis, comme à toutes les chapitres du site, est permanent dans la rubrique SOMMAIRE, en colonne de gauche. Cette colonne est présente dans toutes les pages. Vous pouvez également utiliser les LIBELLÉS en pied d'article, par exemple ici grâce à CUISINE, pour vous orienter dans votre belle odyssée à travers le site.

Image: Carte de peuplement des Grecs et des Phéniciens en Méditerranée, 550 av. J.-C. Cliquer dessus pour l'agrandir.

lundi 24 mars 2008

Lettre 5: printemps 2008


Commençons par notre invité, le photographe Evgen Bavcar présenté chronique précédente, qui, comme tout vrai créateur, questionne et transgresse les limites de son art, ici donc les codes purement visuels.
Nos compagnons ensuite: Philippe Méziat ouvre, avec Disco/graphie, un sujet sur les pochettes illustrées d'anciens disques de jazz et leurs graphistes. Bernard Daguerre et d'autres collaborateurs tirent des Archives du Cheval de Troie leurs notes de lectures (Cervantes, Gadda, La Lumia, Sciascia, Torga).
Le dossier Gadda ajoute à ces notes de lectures trois textes de Gadda: Automne, un poème de 1932, Fuite à Tor di Nona, et son avant-propos à La Connaissance de la douleur; de Hans Magnus Enzensberger, L'Aruspice; de Pier Paolo Pasolini: La pitié pour les choses; et d'un nouveau compagnon, Louis Bernardi: Baroquisme et réalisme sur une miette de Gadda.
Dans
Italiana: Mario Praz:
Grand Tour. David Herbert Lawrence: Verga ou le trésor des humbles, introduction (non publiée alors) à sa traduction anglaise du roman de Giovanni Verga, Mastro-don Gesualdo, 1923; de Vincenzo Consolo, L'Etna se donne en spectacle, sur une éruption de 1971, et Nelson, duc de Bronte, chronique d'un bourg de Sicile sous possession anglaise; de Leonardo Sciascia, une note sur l'Etna, où il commente les intuitions géniales du jeune voyageur Alexis de Tocqueville.
Dans Manhattania: Stanley Bard, qui inventa l'Hôtel Chelsea de New York, explique l'économie à ses actionnaires, dans J'ai quand même fait une œuvre, non?
Dans Liber@ Te: un texte de 1956 d'André Malraux, en guise de leçon à l'archevêque de Cantorbéry qui veut aménager la charia dans la législation britannique; Enfants de l'extermination, qui réfléchit à un caprice d'après-boire de notre Président, sur un sujet trop sérieux; Israël ou l'enjeu du sens; et, sur la bombe iranienne, Mais de qui parle-t-on ici si tard?; une note trop brève sur le mouvement des Internés volontaires (1940-1945); France-USA: d'une présidentielle l'autre, ou les vrais problèmes même s'ils ne sont pas les seuls, avec un texte de John McCain: États-Unis-Europe: "pacte global". Enfin, quelques remarques nécessaires sur la situation autour de Fitna, le montage de Geert Wilders.
Nous y relayons aussi l'appel de la LICRA du 28 février 2008, à propos de Durban 2009:
L'ONU contre les droits de l'homme.

Dans les
Goûts Réunis: la recette de l'akoud ou aakode, tripes au cumin, et les carbonnades des Flandres.

Dans
Images, l'album sur La Hague a été augmenté.
Enfin, dans Écouter voir: le swing du quatuor de flûtes à bec Amsterdam Loeki Stardust Quartett dans The Jogger, et une intense aria de J.S. Bach: Es ist vollbracht dirigée par Nikolaüs Harnoncourt, avec Christophe Coin à la viole de gambe et la voix du jeune Panito Iconomou.

samedi 19 janvier 2008

Lettre 4: hiver 2007/2008


Godard et la question juive: Treize documents de JLG; une page de Jacques Mandelbaum (ailleurs, une note sur son livre); de Gérard Wajcman, "Saint Paul" Godard et "Moïse" Lanzmann. Avec Bruno Bettelheim, Primo Levi, Giorgio Agamben, Georges Didi-Huberman, Claude Lanzmann, une synthèse, Filmer après Auschwitz, ordonne l'ensemble de la réflexion sur ce sujet.
Un accueil général Pour Jean-Luc Godard propose textes et informations sur le cinéaste, dont la liste de ses trouvables, y compris sur le site, et introuvables.
Écouter voir retrouve une interview d'Aragon "Sur Godard" du 15 juillet 1965 pour l'ORTF, disponible sur le site de l'INA, et sur Ubuweb, deux films de Guy Debord: Critique de la séparation, 1961 (18') et In girum imus nocte et consumimur igni, 1978 (95').
Par ailleurs, Prénom Marcel, ma première lecture de La Recherche du temps perdu, de Marcel Proust, en 1984.
Dans Les Goûts Réunis, section Desserts: la mousse des mousses, d'après Pierre Hermé, et les dattes farcies; section Viandes: Il Polpettone in salsa verde, en VO uniquement.
Le Cheval de Troie regroupera de nombreux textes repris de notre revue (1990-1997), en rapport avec les intérêts du site. Ainsi des souvenirs sur Carlo Emilio Gadda de Goffredo Parise: L'ingénieur anecdotique et L'Ami titubant rejoignent les articles existants (Jean Giono, Sylvère Monod, Leonardo Sciascia, Maximilien Vox). Ces récits de Parise, des notes de lecture sur les œuvres de Gadda s'ajoutent à l'étude de Gian Carlo Roscioni sur la Méditation Milanaise, dans un dossier: Pour Gadda.
Dans Liber@ Te: Robert Badinter, La prison après la peine; Akram Belkaïd, La Shoah et les faux amis des Palestiniens; Corinne Lepage, l'homélie de notre Président; Taslima Nasreen: Je ne suis plus qu'une voix désincarnée, et Caroline Fourest: Égalité et diversité.
Quant au jazz, retour de Nantes, Philippe Méziat, directeur du Bordeaux Jazz Festival, continue à nous donner de ses nouvelles, de ses archives, et à y réfléchir aussi [désormais sur son site, depuis le 20 mai 2009].
Nouveau compagnon: Bernard Daguerre donne un texte sur Insularités et littérature policière.
Une nouveau dossier, Judaïca, favorisera les recherches dans le site sur le sujet.

dimanche 30 septembre 2007

Lettre 2: été 2007


Dans
Images: trois jours dans la capitale écossaise, un album: Rousses d'Edinburgh, entre assomptions flamboyantes et difficultés d'être.
Retour d'un mois de septembre à New York, un nouveau dossier d'images et de textes: Manhattania.
Dans Liber@ Te: Je suis le maître de la clé, ou Le Monde face au chantage libyen.
Dans Les Trains de Lumière: un article sur Notre Musique, le dernier film de Jean-Luc Godard.
Dans Les Goûts Réunis: je ramène aussi d'Edinburgh la recette du succulent haggis, étonnamment jumeau du osbane, un plat de fête judéo-tunisien, que je raconterai bientôt. Quant aux pâtes, s'ouvrent ce mois-ci le chapitre à la fois simple et compliqué des pâtes aux légumes (basique pummarola, ancienne marinara, pittoresques pappardelle aux fleurs de courgette, simples rigatoni aux broccoli, chou-fleur ou romanesco, siciliennes penne alla Norma) et celui des pâtes au poisson, avec les bucatini alla Vucciria de Palerme, mêlant sardines et fenouil sauvage.

mardi 31 juillet 2007

Lettre 1: printemps 2007


Dans
Images, deux albums: Jambes de Sicile et Sicile 2007.
Dans
Italiana, un court récit, Pour mémoire, préface à ma traduction du premier roman de Luigi Pirandello, Le Tour de rôle, suivi d'une lettre à Leonardo Sciascia du 3 novembre 1989...
La politique nous confronte aux
Avertissements de Londres et de Glasgow, des attentats qui n'ont rien d'attentats manqués, et aux événements d'Islamabad. Quant au Monde, il nous mène De Perec à Recep, à propos des législatives anticipées en Turquie.
Dans
Les Goûts Réunis, s'ajoutent aux
Entrées les recettes de la sicilienne caponata et du florentin cibreo, et s'ouvre l'inépuisable saga des pâtes: la recette des pâtes fraîches, une présentation générale qui donnera la pleine mesure du problème abordé, et l'essentiel du chapitre sur les pâtes à la viande: l'altière amatriciana, l'opulente bolognese, la matricielle carbonara, une fantaisie fort peu responsable autour du cibreo, et l'impossible pagliata du Testaccio. À suivre donc.

lundi 28 mai 2007

Les Goûts Réunis



Les Goûts Réunis rassembleront sur le site des recettes de cuisine dont l'Histoire m'a donné la garde. Il était une fois une communauté juive à Tunis, héritière des Berbères pré-chrétiens, mise ensuite au contact de l'Islam, enrichie à partir du XVIIe siècle des apports de la Toscane, Livourne en particulier, et de l'Italie méridionale, Naples et la Sicile. Malte, la Tripolitaine, Salonique, Constantinople et Alexandrie s'en mêlèrent aussi. Touchée par l'extermination, elle subsista, urbaine, avec ses pauvres, ses riches et ses luttes intestines, entreprenante et vigoureuse jusqu'à l'indépendance de la Tunisie qui la dispersa en une dizaine d'années, après des millénaires de présence sur ce sol (1).

Tunis (Sousse et Sfax aussi, pour d'autres raisons à explorer et d'autres résultats) était le lieu d'une rencontre culinaire, une cuisine urbaine et même de capitale, unique dans toute l'Afrique du Nord, fondée sur les apports, emprunts et synthèses, et sur une qualité et une richesse des produits exceptionnelle, exaltée par l'activité d'import-export des très anciens commerçants juifs, toujours amplifiée par la légendaire propension des mères juives à nourrir leurs familles, et une concurrence de voisinage ostentatoire à qui réussirait le mieux les plats de répertoire. Tout cela a disparu en quelques années de la surface du monde, une génération à peine, même si un ou deux piètres mais méritants conservatoires existent encore à Paris. Les tenantes authentiques des traditions se sont retirées, la demande spécifique a succombé sous la simple arithmétique démographique de l'offre et de la demande, qui tend à réduire la cuisine d'Afrique du Nord à des pratiques alimentaires de subsistance, d'origine pauvre et souvent rurale, et surtout d'origine algérienne. L'épouvantable trilogie kebab merguez couscous royal a fait le reste.
Aucun de mes convives d'aujourd'hui n'appartient à cette histoire: ces plats les étonnent et excitent toujours leur curiosité, sinon leur palais. C'est aussi pour leur rendre hommage et les remercier que je rédigerai ces quelques notes.

(1) Réelle ou mythique peu importe au fond, il faut par exemple lire, sur le site très complet et souvent mis à jour de Jacques et Irène Darmon, l'histoire de leur nom.