Mal nommer
un objet, c'est ajouter

au malheur de ce monde.

Albert Camus.


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samedi 27 avril 2013

Smaïn Laacher: Nécessaire féminisme radical en pays arabes




    Textes politiques sur Ralentir travaux? Inutile d'y aller davantage des nôtres, sinon de temps en temps nous en remettre un en mémoire. Nous n'avons aucune raison de changer ni d'ajouter grand-chose à ce que nous avons ici écrit en ces matières depuis tant d'années et qu'on retrouvera rassemblés dans notre dossier Liber@ te, et singulièrement pour ces sujets la section Des pays plus libresCe qui nous paraît désormais précieux c'est de garder un certain accès public à des textes souvent parus dans la presse et que nous jugeons essentiels. Aujourd'hui, celui-ci qui nous paraît si bien souligner la nouveauté du geste radical d'Amina Tyler en Tunisie, rapidement cataloguée par nos démocrates et beaux esprits de provocatrice, quand ce n'était pas d'alliée objective des criminels islamistes aux marges du pouvoir dans son pays, quelle honte. J'aurais simplement titré (et précisé davantage dans le texte) "en pays musulmans" ou "en terres d'islam", puisque les premières batailles nous sont venues d'Iran. Et peut-être les décisives prochaines. Mais c'est une autre histoire. Merci à Smaïn Laacher, sociologue, au Centre d'étude des mouvements sociaux (EHESS-CNRS) et à Caroline Fourest qui anime et relaye en France ces combats avec une particulière constance. 

    Nécessaire féminisme radical en pays arabes. — Renverser une dictature, ce n'est pas modifier substantiellement les fondements de l'ordre social et des structures mentales. Les soulèvements qui ont eu lieu dans les sociétés arabes se sont arrêtés à mi-chemin, dans la mesure où la remise en cause radicale des régimes politiques ne s'est nullement accompagnée d'une remise en cause radicale des systèmes qui sont au principe de la domination des hommes sur les femmes. Vouloir abattre la tyrannie et juger par ailleurs comme accessoire la lutte contre les tyrannies qui, au quotidien (du travail à la rue jusqu'à la chambre à coucher), font de la vie des femmes, dans leur grande majorité, un enfer sur terre, c'est reconnaître que la pensée a failli.

    Ce point de vue est partagé par des femmes arabes ayant activement pris part aux soulèvements populaires dans leur pays. Voilà ce que disait, lors d'un entretien réalisé le 10 mars 2011 par la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), une militante des droits de l'homme à Manama (Bahreïn) qui fut très active lors des protestations contre le régime : «Les revendications politiques et sociales des manifestants n'incluent pas les droits des femmes. La question des femmes est totalement absente. Personne ne revendique l'égalité ou les droits civiques pour les femmes, pas même les femmes.»

    Sans aucun doute est-ce la fin d'un certain monde pour ceux qui ont cru que gouverner, c'était habiter le pouvoir en famille pour l'éternité. Au Maroc, en Égypte, en Tunisie, en Libye, en Algérie (à Alger, le pouvoir n'est pas à l'Assemblée nationale, aussi le nombre important de femmes députées ne change-t-il rien à l'affaire) ou au Yémen, les Parlements nationaux actuels, océans de misogynie, ne laissent aucun espoir aux femmes quant à l'amélioration de leur sort et de leurs droits.

    Il n'y a nulle raison d'attendre une quelconque aide de l'extérieur. Les "mouvements progressistes" en Occident regardent, avec un mélange de désarroi et d'optimisme béat, les mouvements contre-révolutionnaires agir, d'abord, pour mettre au pas les femmes qui ont osé transgresser les normes religieuses et culturelles en pays musulmans.

    Pourtant, si les femmes ont été physiquement écartées des derniers soulèvements populaires, l'État et ses diverses polices ont, quant à eux, parfaitement perçu la menace politique que représentaient des corps en liberté dans l'espace public, en particulier lorsqu'il s'agit de celui des femmes. Les exemples sont nombreux. Entre autres, celui de la jeune Égyptienne Aliaa Magda Elmahdy, qui a publié l'image de son corps nu sur son blog, ou celui de cette jeune Tunisienne qui a rejoint le mouvement des Femen, et qui a adopté, en Tunisie même, leur mode d'interpellation publique contre l'oppression des femmes. Le propos n'est pas ici de savoir si elles ont tort ou raison. Il s'agit avant tout de comprendre ces gestes inouïs.

    À ma connaissance, c'est bien la première fois que des jeunes femmes arabes montrent publiquement, totalement ou en partie, leur corps nu, événement majeur puisque c'est un corps de femme nu qui échappe à l'enfermement domestique et aux injonctions d'hommes et de femmes soucieux de la légalité traditionnelle et du respect de la norme religieuse. Ce corps nu, quelle que soit sa nationalité, n'est pas n'importe quel corps, il n'est pas un corps parmi des millions d'autres corps, il n'est pas innommable, abstrait, il n'incarne pas tous les corps — une Islandaise n'est pas une Égyptienne — et n'est donc pas sans origine, sans histoire, sans culture, sans désir. Ces corps ont une identité car ils sont identifiables: Aliaa Magda Elmahdy a vingt ans, elle est née en Égypte; Amina a dix-neuf ans, elle est née en Tunisie.

    Ainsi, ce n'est pas seulement une dimension inconnue des sociétés arabes qui s'expose au monde, et en premier lieu aux regards de tous les Arabes. Ces corps sont des corps qui refusent de se soumettre et par lesquels advient aussi le politique; c'est un corps qui agit contre la violence des hommes et de toutes les institutions gouvernées par des hommes, armés ou non.

    C'est un corps qui fait de la résistance, autrement dit qui fait de la politique contre le "souverain" (terrestre et divin), mais aussi contre tous les petits tyrans ordinaires et les millions d'auto-entrepreneurs en morale religieuse. Elles signent, contre leur volonté ou non, par cet acte inouï, une déclaration qui est une exigence politique et morale: la femme et/ou l'homme ont le droit à leur liberté, une liberté non soumise aux impératifs de la communauté politico-religieuse.

    Cette liberté signifie cet impératif majeur, nullement partagé: agir par soi-même sans être soumis à l'hégémonie du collectif et de ses lois et ne pas se laisser dominer par une quelconque instance transcendante, aussi divine soit-elle.

    Au fond, peu importe que ce geste fût rare. Il a probablement choqué, même ceux et celles qui ne cessent de s'autoproclamer "démocrates", "laïques", "progressistes", etc. Ce geste n'a pas voulu se décliner sous forme de slogans, encore moins était-il sous-tendu par quelques propositions programmatiques. Cette radicalité, dans son expression protestataire, s'adresse au sens, aux émotions et à l'intelligence.

    Ces expériences sont à chaque fois un événement qui n'est pas seulement un fait, mais plus profondément une rupture. C'est de l'inédit qui engage une autre histoire sociale des femmes dont toute la difficulté va être d'en élucider la signification. Les corps nus ou en partie dévêtus d'Aliaa Magda Elmahdy et d'Amina ont cette faculté inattendue de penser ensemble des registres qui ont toujours été tenus séparés dans cette société: la politique, la religion, la liberté, l'art, la pluralité humaine, l'action en commun, etc.

    «Être libre et agir ne font qu'un», disait Hannah Arendt. L'action humaine est capable de miracle, mais seulement par la liberté qui est cette capacité à faire advenir l'imprévisible. Il s'agit maintenant de penser cet événement, car c'est par cette activité, pour paraphraser une nouvelle fois Hannah Arendt, que les normes, les règles rigides et les croyances générales (religieuses, politiques, etc.) peuvent être sapées. — 

    Smaïn Laacher vient de publier Insurrections arabes. 
Utopie révolutionnaire et impensé démocratique, 
Buchet-Chastel.

    © Photo via Femen France. [Facebook]

samedi 25 février 2012

Caroline Fourest: Les yeux ouverts sur la Syrie




Dans Ralentir Travaux, nous apprécions souvent les articles de Caroline Fourest. Créons donc un tag à son nom, afin de pouvoir retrouver facilement ceux que nous avons choisi ici de sauver d'un éventuel oubli. Et renvoyons aussi à la saine lecture de son blog personnel.

Il y a quelques mois, nous pressentions bien ici que la défaite du tyran syrien mettrait beaucoup de temps et serait sanguinaire, compte tenue des indéfectibles soutiens sur lesquels il peut compter de ses collègues et homologues chinois, russe et iranien. En disciple zélé, sept mois plus tard, il tue, bombarde, emprisonne et torture un peuple qu'il ne peut plus dire sien. Comme ce peuple d'Iran qui a ouvert la voie et à qui les mouvements en cours dans les pays arabes et ailleurs doivent tant.

Enfin, nous sommes depuis assez longtemps attentifs aux ambiguïtés du fonctionnement et de l'engagement de l'ONU — sans parler du rôle de ses diverses commissions en matière de défense des Droits de l'Homme — pour continuer à nous demander ici si l'assemblée ne remplit pas, en dépit de ses idéaux et de ses déclarations, les fonctions d'une sorte de machine de guerre.

Les yeux ouverts sur la Syrie. — Rien, absolument rien ne peut justifier de fermer les yeux sur les massacres en Syrie. Ni les désillusions attendues du printemps démocratique ni le précédent libyen. Les habitants d'Homs subissent un pilonnage sanglant. Les rares témoins sont pris pour cible. Les observateurs de la Ligue arabe ont été baladés. Les informations les plus alarmantes et les plus difficiles à vérifier circulent. D'après Al-Arabiya, des opposants au régime iranien affirment que leur gouvernement a fourni un four crématoire à son allié syrien. Installé dans la zone industrielle d'Alep, il tournerait à plein régime... Pour brûler les cadavres des opposants tués ? On compte au moins six mille morts et plusieurs milliers d'opposants disparus.

Comment l'ONU pourrait rester silencieuse sans trahir sa raison d'être? L'Assemblée générale, où siègent l'ensemble des nations, a parlé, mais le Conseil de sécurité, son bras armé, est retenu par les veto russe et chinois. En Libye, il a fallu un bain de sang annoncé à Benghazi et les outrances du colonel Kadhafi pour forcer la main de ces deux géants, très souvent partisans du «charbonnier est maître chez soi».

En dépassant leur mandat, les forces intervenues en Libye ont sauvé des vies, restauré la solidarité et redonné ses lettres de noblesse à la «communauté internationale», mais elles ont aussi facilité la réticence actuelle. Même si, bien sûr, la vraie raison est ailleurs... Dans la peur de voir l'ONU se mêler de toutes les atteintes à la démocratie. Ce que ni la Chine ni la Russie ne souhaitent, surtout en période si troublée. Au vu des crimes en cours, leur veto s'apparente à une complicité.

L'intervention armée en Syrie n'est pas pour autant une évidence. Pour toutes les raisons que l'on connaît. Le risque d'apparaître comme une opération occidentale, et non universaliste. D'où la nécessité d'un accord de l'ONU et de confier le gouvernail à la Ligue arabe, malgré leurs arrière-pensées concernant le Qatar. L'autre risque, lui aussi bien connu, est pour l'après. L'éclatement clanique et religieux, l'épuration qui pourrait cibler les Alaouites, la montée en puissance des intégristes sunnites et les tensions qui en résulteront avec les minorités religieuses, notamment chrétiennes. D'où l'importance de privilégier l'envoi d'une force d'interposition à la livraison d'armes aux insurgés.

Ces risques pour l'après existent et ne doivent pas être niés. Mais ce n'est tout simplement pas l'heure d'y songer. Le présent est au sang versé par Bachar Al-Assad et ses sbires. Le tyran d'aujourd'hui, c'est lui. Sous ses bombes, sous ses balles, il n'existe ni clans ni intégristes. Seulement des victimes.

La diplomatie internationale est un art délicat, qui navigue toujours entre deux excès. Celui de l'ingérence et celui de l'indifférence. Le premier excès nuit au destin des nations. Le second au destin de l'humanité. En tout cas lorsque les crimes commis dépassent le cadre d'une répression excessive pour basculer dans le massacre systématique. C'est le cas en Syrie. Il est donc urgent de faire passer le destin commun de l'humanité avant celui des nations. — Cette chronique a été publiée dans Le Monde du 25 février 2011. Essayiste et journaliste, rédactrice en chef de la revue ProChoix, Caroline Fourest a publié récemment La Tentation obscurantiste (Grasset, 2005) et La Dernière Utopie (Grasset, 2009).

© Photographie: Agence Reuters — Stephanie McGehee.

samedi 12 novembre 2011

La question iranienne


Nous rééditons ce texte du 21 février 2008:
Mais de qui parle-t-on ici si tard? pour son actualité retrouvée. Nous le faisons suivre d'une chronique de Caroline Fourest, Ne bombardez pas l'Iran, publiée dans Le Monde de ce samedi 12 novembre 2011.

1. Mais de qui parle-t-on ici si tard? — Pur jeu de l'esprit, supposons un instant ce drame avéré: l'Iran a la maîtrise de l'arme nucléaire. Peut-on imaginer que, à horizon prévisible, les USA tentent de le désarmer par une intervention militaire, qu'il ne pourra même plus présenter comme "chirurgicale"? Après l'Irak, la façon dont se sont nouées alors les alliances, le désastre politique après la victoire militaire, la réponse est rigoureusement non. Quel pays sera alors si directement menacé, le but explicite de la bombe étant de le rayer de la carte du monde, que, n'ayant plus rien à perdre, il n'aura d'autre solution, au minimum, que lancer des raids destructeurs sur les installations iraniennes? Qui aura la force et les arguments pour lui imposer la "politique de retenue"? Quel État osera alors lui apporter clairement son soutien politique, afin de tenter de modifier les rapports militaires et politiques en présence? L'un de ces États d'Europe, qui auront si lourdement tergiversé, remis à plus tard de véritables sanctions internationales, seules peut-être encore susceptibles d'aider ceux qui, en Iran même et dans le monde arabe, ne sont pas encore convaincus que l'avenir de leurs pays passe par cette volonté d'élimination, si clairement exprimée par certains de leurs dirigeants? Certains de ses ennemis actuels pourraient bien comprendre l'urgence d'un tel renversement d'alliances avant ceux qui se disent ses alliés naturels et historiques. L'Organisation des Moudjahidins du Peuple Iranien, mouvement d'opposition en exil au régime de Téhéran, classée sur la liste des organisations terroristes de l'Union Européenne, révèle ce 20 février (Le Monde, 21 février 2008) que la république Islamique œuvre à la mise au point d'un missile à tête nucléaire, et donne des précisions sur les sites et les responsables concernés. L'AIEA visite et contrôle ailleurs, le Renseignement américain jure que la fabrication des ogives a cessé en 2003. L'OMPI avait d'ailleurs déjà signalé en 2002, lors d'une conférence de presse à Washington, l'emplacement de deux sites nucléaires secrets. Pur jeu de l'esprit, vous dis-je.

© Photographie: Maurice Darmon, Femme de paix à Sderot, tirée de notre diaporama: Gens de là-bas.


2. Ne bombardez pas l'Iran. — La théocratie iranienne est un ennemi peu enviable. Le fou messianique qui lui sert de président, Mahmoud Ahmadinejad, représente un danger certain. Ses menaces, son envie répétée de rayer Israël de la carte, ne doivent pas être écoutées d'une oreille distraite. La perspective de voir cet Iran-là se doter de la bombe nucléaire — confirmée par le rapport de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) — est tout simplement glaçante. Pourtant, rien ne serait pire que de voir le gouvernement israélien perdre ses nerfs et bombarder l'Iran.

Il existe mille arguments avancés par le gouvernement israélien pour minimiser l'impact d'une telle opération. Il suffirait de frapper un élément de la chaîne, au bon endroit, pour retarder le programme nucléaire de vingt ou trente ans. Une frappe chirurgicale, comme ce fut le cas en Irak il y a quelques années. Ce ne serait pas si compliqué, pas si grave. L'Arabie saoudite, que l'on sait très inquiète de son rival chiite, ne devrait voir aucun inconvénient à ouvrir son espace aérien. Bref, tout serait au mieux dans le meilleur des mondes. Sauf que ce monde n'existe pas.

On peut faire confiance au régime iranien pour avoir enterré ses installations sous des sites entourés de civils. Les frappes entraîneraient des morts. Ces frappes, ces morts, soulèveraient logiquement l'indignation... dans un monde en ébullition. Le leadership américain est en berne, l'Europe aux prises avec ses dettes, les mouvements islamistes commencent à récolter les fruits du printemps, la Chine et la Russie pèsent comme jamais. Dans ce contexte, une frappe israélienne sur le sol iranien laisse entrevoir des répercussions dignes d'une catastrophe nucléaire, à l'échelle politique.

Le premier effet sera d'obliger le peuple iranien à souder les rangs autour d'un régime qu'il déteste. De stopper le pourrissement intérieur qui ronge la «mollahcratie». Mahmoud Ahmadinejad est plus fragile que jamais. Le Guide suprême, qui le tient en laisse, hésite à le congédier. Une bombe israélienne peut lui sauver la mise. Comme elle risque d'offrir un peu d'oxygène à Bachar Al-Assad et à ses massacres, de plus en plus contestés, même au sein de la Ligue arabe. Elle donnera certainement un coup de fouet spectaculaire aux Frères musulmans en Égypte, déjà très en forme. Un coup de pouce à l'islamisme en général. Sans parler du risque de flambée antisémite, qui se ravive chaque fois qu'Israël se met en tort. Ce qui arrive, décidément, trop souvent. Le gouvernement israélien deviendrait indéfendable.

C'est peut-être la seule chose positive qui pourrait sortir de ce chaos (1). Après un tel coup de force, Israël devra bien stopper l'escalade. Geler ses colonies, remettre le processus de paix en marche ou reconnaître l’État de Palestine à l'ONU. Ce qui ressemble à une utopie n'est rien d'autre que la seule solution dictée par la raison. Amorcer, au plus vite, la désescalade au Proche-Orient. Ne laisser aucune chance à l'Iran d'être soutenu. Pour que la communauté internationale puisse prendre les mesures qui s'imposent: couper toute relation avec Téhéran. Dans l'espoir que ce régime tombe, avant qu'il n'ait vraiment la bombe.Caroline Fourest, chronique dans Le Monde du samedi 12 novembre 2011.

1. Si je trouve ce texte tout à fait important, je ne partage pas cette inconcevable absurdité. Israël serait-il alors contraint de stopper l'escalade que ce serait dans une telle défaite politique et peut-être même militaire, qu'il serait dans la pire des positions de faiblesse pour aborder l'étape supposée de processus de paix. Rien de positif là-dedans.

© Photographie: Knight Ridder, de Peter Andrew Bosch, Téhéran. Young women sit at a outdoor cafe in the mountains north of Tehran. The youth has become more daring, many girls wear make-up, and expose more and more hennaed hair with the chadors back on their heads. The girls risk jail, fines and official beatings. — Jeunes femmes assises à la terrasse d'un café dans les montagnes au nord de Téhéran. La jeunesse est devenue plus audacieuse, de nombreuses filles se maquillent et montrent toujours davantage leurs cheveux passés au henné, en portant leurs tchador en arrière. Les filles risquent la prison, des amendes et des peines de flagellation.
Elles se maquilleront encore quand les fouets auront disparu.

dimanche 28 février 2010

Caroline Fourest: L'imam sacrifié




Afin de mieux comprendre le texte ci-dessous de Caroline Fourest, paru dans Le Monde du 27 février dernier, il convient de présenter l'imam de la mosquée de Drancy. Le Tunisien Hassen Chalgoumi a trente-six ans. Depuis qu'il s'est déclaré favorable à une loi contre le voile intégral, le 22 janvier dernier, il est l'objet de nombreuses et fort sérieuses intimidations. Une bonne partie de sa communauté s'oppose à lui. Ses déclarations en 2006 au camp de Drancy sur l'extermination comme «une injustice sans égale», et ses nombreux et significatifs rapprochements avec la communauté juive de la ville, lui ont valu couramment parmi les siens l'appellation «imam des juifs». Arrivé en France en 1996, après une formation en Syrie et au Pakistan dans le courant tabligh, fondamentaliste et apolitique, il a d'abord exercé dans un foyer de Bobigny. En 2008, le maire UMP de Drancy, Jean-Luc Lagarde, le choisit pour gérer la nouvelle mosquée dont la municipalité est propriétaire. En juin 2009, il tente de lancer la Conférence des imams de France sans grand succès, ni du côté des institutions musulmanes ni de celui du clergé catholique.

Drancy est situé en Seine Saint-Denis, où, avec plus de cent lieux de culte les plus divers (dépendant de la Mosquée de Paris maison-mère des mosquées françaises, de fédérations marocaines, de salafistes radicaux, de tablighi apolitiques), la présence musulmane — asiatique, africaine, maghrébine et turque — est très importante et la plus ancienne en France, du fait de l'implantation des foyers de travailleurs immigrés dans les années Soixante. L'UOIF a son siège et sa mosquée à La Courneuve et son centre de formation à Saint-Denis. C'est dire que l'inscription de l'imam Chalgoumi s'y heurte à des rivalités politiques et religieuses variées.

L'imam sacrifié. — S'il existe une victime directe du débat empoisonné sur l'islam lors de ces régionales, c'est bien lui: l'imam Hassen Chalghoumi. Entre deux polémiques sur les minarets et le Quick halal, son cas embarrasse autant les politiques que les rédactions. Par peur d'être taxés de "sensationnalisme anti-islam", des journalistes ont écrit des papiers sinueux, laissant presque entendre que l'imam aurait fabulé pour se faire de la publicité. La version de ses agresseurs.

En réalité, celui que les intégristes appellent l'«imam des juifs» est harcelé depuis des mois. Il a reçu des menaces sur son portable, sa maison a été saccagée, des bidons d'huile ont été renversés sur sa voiture. L'intimidation n'a fait que monter d'un cran, le 25 janvier. L'essentiel n'est pas contesté. Un groupe de radicaux a bel et bien fait irruption dans sa mosquée pour s'emparer du micro, diriger la prière et le désigner à ses fidèles comme un «ennemi de l'islam». Ce n'est pas rien quand on sait la sanction prévue par le Coran... Les agresseurs, eux, ne voient rien de violent dans ces paroles. Un simple bulletin météo. Ils ont porté plainte pour «dénonciation calomnieuse» et crient à la «manipulation». Ce qui est toujours du meilleur effet.

La polémique, dérisoire, vient d'un malentendu. Certains journalistes ont cru comprendre que l'imam était présent lors de cette prise de parole, alors qu'il était en déplacement. Mais l'imam n'a pas menti. Il est bien victime d'une opération de déstabilisation.

Les putschistes, salafistes et Frères musulmans ont répondu à l'appel SMS d'un groupuscule radical: le Collectif du cheikh Yassine (en hommage au chef religieux du Hamas et à sa branche armée). Son leader, Abdelhakim Sefrioui, est un fidèle du congrès de l'Union des Organisations Islamiques de France (UOIF), où il a convié Dieudonné et Alain Soral lors des élections européennes, en 2009.

Son petit groupe n'en est pas à sa première opération. Il a déjà essayé d'intimider Dalil Boubakeur, le recteur de la Mosquée de Paris, pour les mêmes raisons, en avril 2009. La Mosquée dut fermer ses portes pour se protéger de l'arrivée d'une trentaine de très jeunes radicaux portant keffieh. Sefrioui dirigea la prière des fidèles, restés dehors, avant de prêcher contre le recteur. C'est dire si la déstabilisation de Chalghoumi n'est pas un incident isolé, mais un test pour l'islam de France.

L'attitude du Conseil Français du culte Musulman (CFCM), de plus en plus influencé par l'UOIF, n'est pas rassurante. Loin de soutenir l'imam de Drancy, le Conseil exige une commission d'enquête. Plusieurs imams, proches des positions de Chalghoumi, se sentent sur des sièges éjectables. Pendant ce temps, l'intimidation continue, presque chaque jour, devant la mosquée de Drancy. À coups de haut-parleurs.

Le député-maire de Drancy, Jean-Christophe Lagarde, soutient Chalghoumi, mais se garde d'intervenir et voudrait bien voir la polémique s'éteindre. Ce fiasco ressemble à son échec. C'est lui qui est allé chercher cet imam piétiste, formé par le Tabligh, pour l'installer dans une mosquée construite sur un bail emphytéotique, entretenue grâce aux agents de la mairie. Le tout au mépris de la loi de 1905. Depuis des années, il expérimente ce que Nicolas Sarkozy préconise au niveau national: subventionner le culte musulman pour mieux le façonner. Une recommandation du rapport Machelon, reprise par le rapport Gérin sur le voile intégral.

Depuis bien longtemps, des laïques et des observateurs mettent en garde: toucher à ce pilier de la loi de 1905 ne permettra pas de calmer la fièvre intégriste. Au contraire. Les imams mis en place seront accusés de servir le pouvoir, avant d'être éjectés au profit d'intégristes, qui jouiront d'une mosquée supplémentaire grâce à l'argent des contribuables. Cette prophétie, hélas, est en passe de se réaliser.

Ce n'est pas une raison pour abandonner l'imam Chalghoumi, qui a pris son autonomie et croit en un "islam républicain". S'il perd courage, plus aucun imam de France n'aura cette audace. — Caroline Fourest, Le Monde du samedi 27 février 2010.

© Photographie: Maurice Darmon: Nos images.

mercredi 22 avril 2009

Durban II: On ne savait pas




Nous renonçons à commenter le jugement de notre Ministre des Affaires étrangères et européennes selon lequel la déclaration finale commune de la Conférence mondiale contre le racisme qui vient de se tenir à Genève est "un texte historique majeur, dont l'adoption tient du miracle". Nous allons donc à présent être amplement informés par l'inévitable concert de louanges autour des excellents résultats de l'Europe à cette conférence. L'abondance des commentaires (ou, j'ose l'espérer, le flop de mépris devant l'énormité d'une telle profération) sera à la mesure de l'immense silence qui accompagna la préparation de l'événement, son contexte et ses acteurs.
Depuis le 18 décembre 2007, nous sommes revenus à cinq reprises sur la conférence dite de Durban II (jusqu'à ce que soit une preuve avérée de «durbanophobie» de la désigner ainsi: adieu donc à Durban II, dont acte). Le passé n'étant pas mort et n'étant même pas tout à fait passé, les amateurs d'histoire et peut-être aussi de mémoire (mémoire d'avenir aussi bien) pourront retrouver ces textes en pages intérieures par ces liens.


— 1. 18 décembre 2007. Durban 2009.
2. 28 février 2008. L'ONU contre les droits de l'homme (2), appel de la LICRA.
— 3. 25 avril 2008. Caroline Fourest: Le cauchemar annoncé de Durban II (3), Le Monde. Depuis cette annonciation, et sans aller jusqu'à crier au miracle, ses positions sur cette conférence se sont depuis largement nuancées. Faut-il voir dans cette évolution l'effet d'un réalisme que nous appréciions naguère très positivement?
— 4. 17 juin 2008.
Durban 2009, (Genève) Islamophobie, (4) (suivi de AFP Genève).
— 5. 2 novembre 2008.
Durban 2009 (5), réunion préparatoire d'octobre 2008
.

Image: Fra Angelico,
Annonciation, fresque au couvent de San Marco, à Florence (1430).

mardi 1 juillet 2008

Caroline Fourest, femme des aurores




Dans un certain nombre de sites qui font à ce point religion de laïcité qu'ils finissent parfois par nouer de logiques alliances avec d'autres, plus ouvertement intégristes, l'invective arrogante et la morgue railleuse tiennent lieu de raison à l'encontre de Caroline Fourest, dont nous avons déjà pu relayer ici certains textes (Diversité contre l'égalité, et Le cauchemar annoncé de Durban II). Ici, nous apprécions la chercheuse, ses engagements et ses choix, ses interventions dans les médias, et toujours la priorité aux idées et à l'argumentation, son éveil à ce qui change et bouge, son réalisme face à ce qu'elle combat: cette femme écrit pour nous dire toujours son espérance. Alors, nous reproduisons ici un troisième texte d'elle: Notre nouveau maître est oriental, publié le 20 juin 2009 dans Le Monde, qui ne plaira sûrement guère à tous les arrangeurs d'étranges mariages. Tout Fourest est là: quelques vérités sur les immenses tragédies, et pourtant jamais l'apocalypse.

Notre nouveau maître est oriental. — On a pris l'habitude de dénoncer la mondialisation comme une forme d'occidentalisation. Les opposants à l'universalisme vont plus loin en assimilant l'occidentalisation à une forme de colonisation culturelle. Cette rhétorique permet notamment aux régimes autoritaires d'associer des valeurs telles que les droits de l'homme, la démocratie ou la laïcité à l'Occident pour mieux les refuser au nom de l'anti-impérialisme. Cette stratégie discursive pouvait faire illusion tant que la première puissance économique était américaine. Qu'en sera-t-il demain, lorsque nous aurons enfin réalisé que la principale puissance à profiter de la mondialisation ne vient pas d'Occident, mais d'Extrême-Orient?

Plusieurs conflits, notamment ceux qui déchirent l'Afrique, ne sont plus dictés par les intérêts économiques européens ou américains mais chinois. La sinistre "Françafrique" est en passe d'être largement détrônée par la "Chinafrique", du nom d'un livre de Serge Michel et Michel Beuret qui décrit bien cette nouvelle réalité (Grasset). Le commerce bilatéral entre ces deux régions a quintuplé entre 2000 et 2006. On estime à 500 000 le nombre de Chinois vivant en Afrique pour construire routes, hôtels et barrages. C'est ce qu'on appelle déjà "l'aspect positif" de la présence chinoise en Afrique. L'aspect négatif, c'est ce dévorant appétit d'énergie et de matières premières, qui la pousse à faire des affaires avec des dictateurs au détriment des peuples, de la démocratie, de l'environnement et du développement durable. Officiellement, bien sûr, il n'est pas question de domination. La Chine insiste au contraire pour apparaître comme une puissance du Sud et rappelle sa présence aux côtés des non-alignés lors de la conférence de Bandung. Lors des sommets sino-africains, elle revendique un "partenariat stratégique d'un type nouveau", caractérisé par "l'égalité et la confiance réciproque sur le plan politique" et "la coopération gagnant-gagnant sur le plan économique". Autrement dit, elle plaide sans complexe pour un affairisme différentialiste sur le mode: "Nos profits valent mieux que les droits de l'homme."

Sans cette politique, cynique, il y aurait moins de morts au Darfour, plus de démocratie en Birmanie et peut-être un nouveau gouvernement au Zimbabwe. Bizarrement, en dehors de pays cherchant à faire oublier leurs propres victimes, bien peu songent à dénoncer le manque de conscience de cette nouvelle force économique. Surtout pas certains militants se revendiquant d'une conscience anti-impérialiste ambiguë, faite d'admiration pour la "résistance" islamiste et d'une certaine complaisance vis-à-vis de la Chine.

Ceux-là ne militent pas réellement pour un axe Nord-Sud plus juste, ni même contre les effets de la mondialisation ultralibérale. Ils souhaitent surtout prendre une revanche identitaire contre l'Amérique, l'Europe, Israël (voire contre les juifs). Dès lors qu'elle est orientale et non occidentale, la Chine peut donc se permettre de piller l'Afrique ou même de discriminer sa minorité musulmane ouïgour sans risquer d'être rappelée à l'ordre.

Ce positionnement, acrobatique, risque de devenir de plus en plus difficile à tenir. Après une période de domination plutôt discrète, poussée par ses besoins grandissants en énergie et en matières premières, la nouvelle puissance venue d'Extrême-Orient pourrait bien être tentée de passer à la vitesse supérieure. La réussite de ses immigrés suscite déjà de l'hostilité en Indonésie, où le sentiment antichinois est toujours prompt à resurgir. En Afrique, certains peuples grondent contre ces Chinois que l'on voit partout et qui volent leur travail... À terme, ce ressentiment finira peut-être par faire oublier de vieilles rancœurs, comme celle existant entre l'Europe et ses anciennes colonies.

Néanmoins, tant que l'islamisme occupe le théâtre de nos enjeux immédiats, l'opposition Occident/Orient fonctionne comme un écran de fumée. En coulisse, la Chine y a intérêt. Sur un plan économique, l'amertume des pays musulmans vis-à-vis de l'Occident lui permet de décrocher des contrats à des prix qu'elle ne pourrait négocier sans ce contexte exacerbé. Sur un plan plus symbolique, la focalisation sur l'Occident lui permet d'avoir tous les avantages de la puissance économique sans les inconvénients.

Cette situation idyllique ne saurait durer. La Chine réalise que son nouveau statut suppose des devoirs envers la communauté internationale. Sa médiation au Darfour, ses tergiversations au sujet des armes réclamées par Mugabe et le début de transparence lors du séisme au Sichuan sont des signes encourageants. Dans quelques générations, comme toutes les premières puissances, elle aura sécrété ses propres contre-pouvoirs.

En attendant, le nouvel ordre mondial à l'ombre de la Chine promet des heures d'instabilité au détriment des droits de l'homme. Qui aura les moyens de lui tenir tête? Pas la France de Nicolas Sarkozy, si sensible aux intérêts des milieux d'affaires. Lors de son discours sur la politique de civilisation, il a suggéré une diplomatie préférant "la diversité à la démocratie". Une expression qui correspond mot pour mot au credo utilisé par les dirigeants chinois pour revendiquer un monde placé sous le signe du différentialisme et de l'affairisme, et non sous le signe l'universalisme et des droits de l'homme.Caroline Fourest, Le Monde du 20 juin 2008.

© Caroline Fourest, Le Monde du 20 juin 2008.
© Photographie: Pollution au village olympique, Reuters, 2008.

samedi 19 janvier 2008

Caroline Fourest: la diversité?




Qui cède sur les mots cède sur les choses, prévenait déjà Freud. La pensée laïque souffre souvent doublement face à cette vérité: soit quand elle confond vigueur et approximation polémique qui insulte l'adversaire, c'est-à-dire en réalité soi-même, soit lorsqu'elle n'est pas vigilante à la résistance dans les mots les plus simples, modes médiatiques et langues de bois nous aveuglant. Dans Le Monde du 18 janvier 2008, Caroline Fourest analyse l'usage, devenu officiel après avoir séjourné longtemps ailleurs, du mot "diversité":

Diversité contre l'égalité. — Une petite contre-révolution se prépare. Sous prétexte de lutter contre les discriminations, le président de la République souhaite inscrire la "diversité" dans le préambule de la Constitution. L'annonce est populaire. Mais a-t-on bien mesuré la portée symbolique de cette intronisation?

Le préambule de la Constitution de 1958 "proclame solennellement son attachement aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946".

Dès son article premier, la Déclaration des droits de l'homme affirme que "les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune". Le préambule de 1946, qui prévoit déjà l'égalité hommes-femmes, ajoute que "nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances". C'est dire si l'égalité de tous forme le coeur de l'actuelle Constitution. Pourquoi donc vouloir introduire le mot "diversité" en plus du mot "égalité" ?

Pour une raison technique. Au nom de l'égalité, le Conseil constitutionnel a récemment invalidé l'article 63 des lois Hortefeux prévoyant la mise en place de statistiques ethniques, dites de la diversité. N'en déplaise aux plus optimistes, ces statistiques visent moins à mesurer les discriminations et les préjugés — ces études existent déjà — qu'à permettre une véritable traçabilité des minorités, en vue d'une utilisation politique qui échappera bien vite aux savants les mieux intentionnés.

Ces intentions politiques semblent aujourd'hui justifier de contourner l'obstacle constitutionnel en ajoutant le terme "diversité" — fruit de la tendance médiatique du moment — à la devise "Liberté-Egalité-Fraternité". L'air de rien, ce complément amorce la victoire du droit à la différence sur le droit à l'égalité dans l'indifférence. Il nous éloigne fondamentalement de l'héritage de la Révolution française pour nous rapprocher d'une conception plus anglo-saxonne, plus différentialiste et plus communautariste. En insistant sur ce qui nous différencie et non plus sur ce qui nous rassemble. Car de quelle "diversité" parle-t-on? Quelles sont ces différences si importantes qu'elles font de nous des êtres "variés" et non des semblables? La couleur de peau, l'origine de nos parents ou la religion font-elles vraiment de nous des citoyens si différents que nous formerions les ingrédients exotiques du cocktail républicain?

L'idée semble séduire. Assurément, l'usage du mot "diversité" a le mérite de lutter contre la tentation de réduire l'"homme" de la Déclaration universelle à son expression dominante. Mais attention aux abus de langage. C'est une chose d'utiliser le mot "diversité" pour éveiller les regards, de façon positive mais transitoire, dans les médias. Par exemple, en nommant des modèles issus de minorités visibles au gouvernement ou en veillant au renouvellement des élites dans ce sens. C'est autre chose de vouloir aller plus loin en inscrivant le mot "diversité" dans le préambule de la Constitution.

Une fois gravée, la "diversité" aura pour effet d'orienter les politiques publiques. La lutte contre les inégalités, peu payante à court terme, risque d'être abandonnée au profit d'une politique aux effets plus immédiats et plus "visibles": celle du saupoudrage ethnique. Sans dire son nom, puisqu'il déplaît, cette "discrimination positive" masquerait alors la persistance des inégalités en profondeur.

Personne n'est contre le fait de donner plus à ceux qui ont moins. Le seul débat porte sur les critères. Jusqu'ici, cette ambition se traduisait par la mise en place de politiques visant à corriger les inégalités sur la base de critères sociaux et économiques. En accordant par exemple des moyens supplémentaires aux zones d'éducation prioritaires. Conscient des économies que cela représente, le président envisage désormais ces compensations non plus sur la base des "territoires" mais sur la base des "individus". Notamment en direction des individus dont la "couleur de peau n'est pas majoritaire". Or si le critère "ethnique" devait remplacer le critère social, un fils de diplomate noir vivant dans le XVIe arrondissement pourrait bénéficier de compensations et d'aides que l'on refuserait à un fils d'ouvrier vivant en Seine-Saint-Denis.

Imagine-t-on le risque de surenchère victimaire et de ressentiment intercommunautaire que peut générer cette approche ? Sans compter le caractère contre-performant de telles mesures pour les discriminés eux-mêmes. Si un fils de diplomate noir n'a pas besoin d'aide de l'État pour étudier, il a besoin que le racisme anti-Noirs recule. Or la "discrimination positive" consistant à attribuer des postes en fonction de critères ethniques, indépendamment des conditions de ressources, sera vite vécue comme un "privilège". À long terme, ce "deux poids, deux mesures" pourrait même justifier que certains Français cessent de culpabiliser et donc de déconstruire leurs préjugés vis-à-vis des minorités. Quant aux minoritaires ayant réussi, leurs qualités propres seront mises en doute, même s'ils n'ont jamais bénéficié du moindre passe-droit.

L'effet obtenu serait donc contraire à l'effet recherché. Après des années de prise de conscience antiraciste, nous amorcerions un processus différentialiste réactivant les préjugés. À terme, le respect de la diversité pourrait même se substituer voire s'opposer à la recherche d'égalité.

© Photographie: aussiegal.