Qui cède sur les mots cède sur les choses, prévenait déjà Freud. La pensée laïque souffre souvent doublement face à cette vérité: soit quand elle confond vigueur et approximation polémique qui insulte l'adversaire, c'est-à-dire en réalité soi-même, soit lorsqu'elle n'est pas vigilante à la résistance dans les mots les plus simples, modes médiatiques et langues de bois nous aveuglant. Dans Le Monde du 18 janvier 2008, Caroline Fourest analyse l'usage, devenu officiel après avoir séjourné longtemps ailleurs, du mot "diversité":
Diversité contre l'égalité. — Une petite contre-révolution se prépare. Sous prétexte de lutter contre les discriminations, le président de la République souhaite inscrire la "diversité" dans le préambule de la Constitution. L'annonce est populaire. Mais a-t-on bien mesuré la portée symbolique de cette intronisation?
Le préambule de la Constitution de 1958 "proclame solennellement son attachement aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946".
Dès son article premier, la Déclaration des droits de l'homme affirme que "les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune". Le préambule de 1946, qui prévoit déjà l'égalité hommes-femmes, ajoute que "nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances". C'est dire si l'égalité de tous forme le coeur de l'actuelle Constitution. Pourquoi donc vouloir introduire le mot "diversité" en plus du mot "égalité" ?
Pour une raison technique. Au nom de l'égalité, le Conseil constitutionnel a récemment invalidé l'article 63 des lois Hortefeux prévoyant la mise en place de statistiques ethniques, dites de la diversité. N'en déplaise aux plus optimistes, ces statistiques visent moins à mesurer les discriminations et les préjugés — ces études existent déjà — qu'à permettre une véritable traçabilité des minorités, en vue d'une utilisation politique qui échappera bien vite aux savants les mieux intentionnés.
Ces intentions politiques semblent aujourd'hui justifier de contourner l'obstacle constitutionnel en ajoutant le terme "diversité" — fruit de la tendance médiatique du moment — à la devise "Liberté-Egalité-Fraternité". L'air de rien, ce complément amorce la victoire du droit à la différence sur le droit à l'égalité dans l'indifférence. Il nous éloigne fondamentalement de l'héritage de la Révolution française pour nous rapprocher d'une conception plus anglo-saxonne, plus différentialiste et plus communautariste. En insistant sur ce qui nous différencie et non plus sur ce qui nous rassemble. Car de quelle "diversité" parle-t-on? Quelles sont ces différences si importantes qu'elles font de nous des êtres "variés" et non des semblables? La couleur de peau, l'origine de nos parents ou la religion font-elles vraiment de nous des citoyens si différents que nous formerions les ingrédients exotiques du cocktail républicain?
L'idée semble séduire. Assurément, l'usage du mot "diversité" a le mérite de lutter contre la tentation de réduire l'"homme" de la Déclaration universelle à son expression dominante. Mais attention aux abus de langage. C'est une chose d'utiliser le mot "diversité" pour éveiller les regards, de façon positive mais transitoire, dans les médias. Par exemple, en nommant des modèles issus de minorités visibles au gouvernement ou en veillant au renouvellement des élites dans ce sens. C'est autre chose de vouloir aller plus loin en inscrivant le mot "diversité" dans le préambule de la Constitution.
Une fois gravée, la "diversité" aura pour effet d'orienter les politiques publiques. La lutte contre les inégalités, peu payante à court terme, risque d'être abandonnée au profit d'une politique aux effets plus immédiats et plus "visibles": celle du saupoudrage ethnique. Sans dire son nom, puisqu'il déplaît, cette "discrimination positive" masquerait alors la persistance des inégalités en profondeur.
Personne n'est contre le fait de donner plus à ceux qui ont moins. Le seul débat porte sur les critères. Jusqu'ici, cette ambition se traduisait par la mise en place de politiques visant à corriger les inégalités sur la base de critères sociaux et économiques. En accordant par exemple des moyens supplémentaires aux zones d'éducation prioritaires. Conscient des économies que cela représente, le président envisage désormais ces compensations non plus sur la base des "territoires" mais sur la base des "individus". Notamment en direction des individus dont la "couleur de peau n'est pas majoritaire". Or si le critère "ethnique" devait remplacer le critère social, un fils de diplomate noir vivant dans le XVIe arrondissement pourrait bénéficier de compensations et d'aides que l'on refuserait à un fils d'ouvrier vivant en Seine-Saint-Denis.
Imagine-t-on le risque de surenchère victimaire et de ressentiment intercommunautaire que peut générer cette approche ? Sans compter le caractère contre-performant de telles mesures pour les discriminés eux-mêmes. Si un fils de diplomate noir n'a pas besoin d'aide de l'État pour étudier, il a besoin que le racisme anti-Noirs recule. Or la "discrimination positive" consistant à attribuer des postes en fonction de critères ethniques, indépendamment des conditions de ressources, sera vite vécue comme un "privilège". À long terme, ce "deux poids, deux mesures" pourrait même justifier que certains Français cessent de culpabiliser et donc de déconstruire leurs préjugés vis-à-vis des minorités. Quant aux minoritaires ayant réussi, leurs qualités propres seront mises en doute, même s'ils n'ont jamais bénéficié du moindre passe-droit.
L'effet obtenu serait donc contraire à l'effet recherché. Après des années de prise de conscience antiraciste, nous amorcerions un processus différentialiste réactivant les préjugés. À terme, le respect de la diversité pourrait même se substituer voire s'opposer à la recherche d'égalité.
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