Mal nommer
un objet, c'est ajouter

au malheur de ce monde.

Albert Camus.


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vendredi 23 novembre 2012

Ralentir travaux: suite.




À Ralentir travaux, nous avons de moins en moins d'opinions, nos fidèles lecteurs et lectrices s'en seront sans doute aperçus. Sur tous les sujets qui nous ont ici toujours importé: les droits de l'homme, supposés des universaux abstraits; la défense des libertés et la laïcité démocratique, décrétée trop souvent sectaire et islamophobe; notre espérance toujours déçue d'une paix juste au Moyen-Orient fondée sur la reconnaissance de deux États se supportant le moins difficilement possible, rangée au rang des illusions démodées; notre désespoir désormais d'une volonté politique face aux emprises de la finance et aux changements climatiques — questions plus liées qu'il n'y paraît, tout le monde le sait.

Devant toutes ces questions cardinales, les mots si longtemps alignés, choisis, répétés, nous manquent et nous abandonnent aujourd'hui. Nous souhaitons que ce ne soit ni total ni définitif, évidemment, nous verrons. Mais Ralentir Travaux termine sa sixième année et nous voudrions qu'il vive encore selon les moyens de son animateur. C'est la raison pour laquelle les images et les sons, présentes dès le premier jour en sous-titre du site, prennent le pas sur les mots. Pour eux, nous ne désespérons toujours pas de la lecture de ceux qui savent les employer pour nous faire penser, sinon décider et choisir. Ainsi de la question du «mariage pour tous», extraordinaire expression (mais chaque jour amène sa sottise) qui m'indifférerait plutôt, si, de temps en temps, je ne lisais des pages comme notre prochain post, qui tout à coup émergent de l'agitation des médias et des réseaux sociaux, dont on ne sait plus qui est le fils ou le père de l'autre. Alors, tout en tentant de notre côté à continuer à donner à voir et à entendre, publierons-nous ici pour l'instant plus souvent ce qu'écrivent d'autres plumes. Sauf sans doute pour les livres que nous lirons, les films et les DVD que nous verrons, les musiques que nous entendrons, la création demeurant toujours le refuge de l'espérance.

© Photographie: Alvaro German Vilela, Don Quichotte et Sancho Panza chantent dans la circulation.

dimanche 27 novembre 2011

La nébuleuse "Ralentir travaux"



Ceux qui nous suivent le savent déjà, Ralentir travaux est le centre d'un ensemble de quinze dossiers à vocation différente: Liber@ Te pour les questions de politique et de libertés, Italiana, Manhattania, Judaica pour nos principales attaches culturelles, et un groupe de dossiers sur le cinéma, Les Trains de Lumière, complété de plusieurs dossiers spécialement consacrés à Paul Carpita, Bruno Dumont, Jean-Luc Godard, Raphaël Nadjari, Danièle Huillet et Jean-Marie Straub, et Frederick Wiseman. Au-delà de mes dettes personnelles, un dossier particulier est aussi consacré à la mémoire de Maximilien Vox et, Les Goûts réunis, à la cuisine de Tunisie et d'Italie. Penser par Images et par sons donne accès à des photographies, de la peinture, des films et des sons. Enfin, Édits et Inédits donne accès à divers textes dont chacun jugera de l'intérêt.

Nous y ajoutons aujourd'hui une page Facebook, spécialisée dans le cinéma et surtout dans les délices visuelles et sonores plus brèves, et plus éphémères qui ne seront pas publiées dans notre site, bien trop sérieux pour ces batifolages, dommage! Elle mentionnera toutes les nouveautés du site pendant un trimestre, mais ne conservera que les notes autour du cinéma. L'économie particulière de la page Facebook permet le recours aisé à des nouvelles brèves, des images, des vidéos et à leur partage, que nous ne pouvons envisager de mettre sur le site lui-même, malgré leur intérêt. Par ailleurs, tous les commentaires y seront ouverts sur tous les articles du site. Nous invitons nos lecteurs à nous rejoindre aussi sur notre page Facebook.

© Francesco Angelini: La Luna, in Penser par images et par sons.

samedi 27 mars 2010

Trois ans avec l'internet




On se trouve probablement cinq ou six fois dans sa vie à la croisée des chemins: le ou les jours où on s'engage dans un métier, ceux où on se marie, où on fait un enfant, où on apprend qu'on est gravement malade, et pour beaucoup celui où on se retrouve à la retraite. Si on laisse de côté les jours du chômage qui n'ouvrent pas vraiment les voies.
Quand il ne s'est plus agi de gagner ma vie: éduquer, enseigner, publier, séduire, et que ma religion était établie sur les mondanités, les glorioles et sur ceux dont le métier est de prescrire nos goûts, nos lectures, nos films et jusqu'à nos opinions, j'ai cru ma vie et ma pensée faites. Quand, au fond, je n'avais que soixante ans.

C'est alors que, par la médiation convaincante des magies du courriel, obstinément traité comme une correspondance, j'ai rencontré ce qu'il est trop vite convenu de dénommer "Internet". Le 27 mars 2007, "ralentir travaux", le nom — sinon le sens: un aimable commérage que quelqu'un arrêta net le jour même, grâces lui soient rendues —, s'imposa aussitôt, tant il voulait affirmer quelque chose contre lui. L'internet — simple nom de chose, article défini et minuscule, et non cette commune déification — me semblait surtout alors être globalement marqué par l'instantané, et la brève de comptoir. Comme la télévision de mon enfance qui m'a fait rêver d'y devenir réalisateur, il fallait dissiper les préjugés élitistes, être accueillant à ce avec quoi j'allais désormais vivre, et donc trouver des raisons de l'aimer. Sans succomber à mon tour à ses attraits spontanés, et savoir si vraiment je saurais "ralentir" l'internet et y "travailler". Un certain internet donc auquel il faut participer, élu dans l'immensité confuse que recouvre aujourd'hui ce mot-monde.

J'ai consigné de temps en temps mes sentiments sur cette petite histoire de ralentir travaux, vécue au jour le jour. Trois ans après, qu'en dire et qu'en penser? Pour qui d'abord? "Pour toi", ai-je pris le parti de répondre à cette question, qui n'est peut-être pas la seule, mais qui mérite d'être plus objectivement posée. Trente mille visiteurs environ que diverses mésaventures, dont celle racontée dans Un autre encartage, m'ont appris à ne pas confondre avec des lecteurs, mais après tout n'y en aurait-il qu'un sur dix pour s'attarder sur un texte que, par ce biais, j'aurais déjà infiniment plus de lecteurs que ne m'en aura procuré l'édition classique, et aux grands écrivains que j'ai eu le bonheur de traduire.

Chaque année depuis vingt ans, Gallimard, Fayard, et tant d'autres maisons (1) dont il ne s'agit pas de suspecter une seconde l'honnêteté comptable, m'adressent des relevés de droits obstinément négatifs sur des traductions d'auteurs comme Giovanni Verga, Leonardo Sciascia, ou Luigi Pirandello. Ne parlons pas des autres écrivains que j'ai eu le privilège de traduire, moins connus. Quant à mes textes publiés, le fisc a eu tout à fait raison de jamais s'intéresser sérieusement à eux.

Évidemment, les éditeurs ont un rôle de validation de l'écrit auprès de la communauté des lecteurs qui, ne voulant pas risquer de lire n'importe quoi, s'en remettent à eux, lecteurs professionnels et garants premiers de l'écriture. L'argument est sérieux, mais insuffisant. Devenir son propre éditeur sans entrer dans des circuits immédiatement marchands change la question du compte d'auteur.

Quand le site n'est pas le support à des entrées publicitaires, son auteur n'est pas forcément préoccupé outre mesure par la quantité de ses visiteurs. Je sais que la partie se joue d'abord avec moi-même: écrire au fil des jours, c'est entrer en pensée, c'est faire de tout ce que je rencontre — livres, films, situations, événements et faits divers — une occasion de les rendre textes, et, peu à peu, me rendre compte (oui d'abord à moi) que la grande difficulté est de choisir ce qu'il convient de partager avec un autrui, si abstrait soit-il, quitte à voir cette part commune devenir l'âme même de mon intimité.

C'est qu'écrire au jour le jour sur l'internet, c'est déceler ici le durable justement au-delà de l'anecdote ou du succès passager, c'est choisir ou éviter de nommer ceux par qui Google dirige vers Ralentir Travaux des visiteurs; loin de s'y résigner, épouser — Roland Barthes par exemple — le fragment comme éthique et comme esthétique; développer les liens significatifs qu'au fond Denis Diderot, autre adepte de la conversation consignée, de la lettre et du fragment, avait déjà expérimentés avec son Encyclopédie: s'ordonner en mots-clés et accepter de se laisser par eux ordonner par d'autres, frères ou ennemis; prendre date avec soi-même et s'interdire les humeurs versatiles du moment en lieu et place de pensée fidèle, aujourd'hui drôles mais demain ridicules; accepter, comme Montaigne — encore un que j'enrôle d'autorité dans les virtuels internautes du passé — de ne renier jamais ses essais mais préférer dans le temps se contredire (2); sans me priver pourtant de préciser des textes demeurés vivants, le réel internet est aujourd'hui bien là: tous les jours prendre rendez-vous avec la responsabilité de la chose dite, devant les ambivalences et les ambiguïtés de nos acteurs et de notre présent.

Là, trois cent notes ou articles derrière moi, miens ou textes élus d'autrui, se confronter à leur archivage, leur classement, quinze dossiers thématiques ouverts en autant de sous-sites, conjuguer autant qu'il est possible le stock classique et le flux d'aujourd'hui. Et donc a posteriori se confronter à la seule question qui vaille: «Qu'as-tu fait, ô toi que voilà, de ta vie, de ta langue, de ton temps, de ta pensée?»

Aux alentours de ce lieu d'écriture et de travail, différentes figures de l'internet (cessons de bouder notre plaisir: sites personnels ou collectifs passionnants, courriels bien moins invasifs que le téléphone même s'il n'est pas portable, liens d'information, d'instruction, de connaissance, de dépistage de la fraude et de l'imposture au-delà de toute espérance, indispensable et si scrupuleuse Wikipedia (3) qui remet à leurs justes places mandarins et experts) redonne chaque jour du sens à ma vie. Même si je n'ai pas su trouver jusqu'ici comment me confronter à l'ouverture aux commentaires et à leur "modération" — une bataille de régulation que je juge au-dessus de mes forces — l'instrument renouvelle la permanente question de la place et du rôle de l'intellectuel dans la cité. Il contribue sans doute puissamment à libérer la parole des peuples et à favoriser la voix de la liberté dans nombre de pays. La surveillance globale que les dictatures et les pouvoirs démocratiques en tirent est réelle, mais elle montre surtout combien est illégitime, et au bout du compte cauchemardesque, de compter sur la seule clandestinité pour travailler à l'état de notre monde.

Loin d'être virtuel, le monde qu'il constitue est désormais notre réalité la plus intime. Il colporte ses périls: le poids que, par son intermédiaire, prennent le mensonge et la rumeur, quand la démocratie continue à avoir besoin de la voix des experts et de la connaissance et de ne pas confondre consensus, complot, débandade des opinions et convergence et relativité des recherches; et la facilité avec laquelle sa rapidité de diffusion peut répandre l'approximation obscurantiste, avec une ampleur du dégât dans toutes les couches sociales. Pas forcément les moins instruites, mais celles qui devraient garantir le sérieux de la recherche méthodique et la relative solidité des résultats, dont, dans les circonstances modernes, toute décision politique dépend. Et qui trouvent au contraire du dernier chic — comme dirait Gustave Flaubert dont on se prend à rêver ce qu'aurait pu y devenir son Dictionnaire des idées reçues — de tonner contre "Internet".

1. Dans son opuscule, que nous pouvons lire intégralement en ligne: De l'illégitimité de la contrefaçon des livres, Emmanuel Kant établissait en 1785 une distinction entre le livre-objet et le livre-texte. Il y écrit: «Je crois être fondé à considérer une édition non comme le trafic que l'on ferait d'une marchandise en son propre nom, mais comme une affaire gérée au nom d'un autre, c'est-à-dire de l'auteur». 2. Encore qu'un exemple célèbre nuance cette affirmation. On connait la fameuse phrase de Montaigne à propos de son ami Étienne de La Boétie: «Parce que c'était lui parce que c'était moi». On ne sait pas toujours que — couleur et nature de l'encre sur le Manuscrit de Bordeaux faisant foi — le «parce que c'était moi» fut ajouté huit ans après. Le temps sans doute nécessaire à Michel pour s'apercevoir qu'il avait réussi à intérioriser son alter ego. Comme pour dire: "C'était alors mon mentor. Enfin, huit ans après, je l'équivaux"?
3. Qui dédaigne cette entreprise véritablement collective tout en l'utilisant au quotidien, qu'il y apporte ses savoirs et ses talents, c'est si simple en apparence. Il verra bientôt d'expérience qu'il n'est pas si aisé d'y écrire durablement n'importe quoi. Sur les sujets qui vaillent, s'entend.

Gravure: Théodore Galle, Mort, Jugement, Enfer et Paradis (détail). In Jan David, Veridicus christianus, Anvers, 1601.

vendredi 18 juillet 2008

Ralentir travaux: le nom




     Nous savons tous que ralentir travaux est le titre d'un recueil collectif de poèmes, issus de "cadavres exquis" de René Char, Paul Éluard et André Breton, paru en 1930 aux Éditions surréalistes, réédité en 1991 et 1995 par les soins de la grande maison d'éditions José Corti.
Seules les trois ‘’Préfaces’’ sont signées par leur auteur. Écoutons Paul Éluard nous dire le pourquoi: «Il faut effacer le reflet de la personnalité pour que l'inspiration bondisse à tout jamais du miroir. Laissez les influences jouer librement, inventez ce qui a déjà été inventé, ce qui est hors de doute, ce qui est incroyable, donnez à la spontanéité sa valeur pure. Soyez celui à qui l'on parle et qui est entendu, Une seule vision, variée à l'infini. Le poète est celui qui inspire bien plus que celui qui est inspiré.» 
On sait moins que, avec ou sans majuscules, ralentir travaux fut, ou est aussi:

     En 1992, le titre d'une œuvre musicale de Johannes Schöllhorn (né en 1962) pour neuf musiciens.
     — Toujours en 1992, le titre d'un essai sur la critique génétique en littérature d'Almuth Grésillon, parue dans la revue Genesis, 1992, n°1 (CNRS).
     — Celui d'une revue poétique créée et dirigée par Bernard Desportes, de 1995 à 2000.

     — Pêle-mêle, outre quantité d'articles qui ainsi se chapeautaient, souvent à défaut d'y ralentir ("Penser vite n'empêche pas de glisser", écrivait déjà Sophocle dans Œdipe roi) ou d'y travailler: les noms d'un éditeur discret dont je n'ai retrouvé jusqu'ici qu'un item; d'un service d'informations sur les entreprises; de l'atelier poétique de Fabula (1), association de chercheurs sérieux en littérature; du site de Yann Houry, professeur de français au collège Gaston-Bachelard de Bar-sur-Aube — de quelle cité peut-on mieux ouvrir des comptoirs sur l'avenir? — beau lieu de soutien aux travaux de ses élèves, créé en août 2007, et véritable école en effet de travail et de patience; ou encore d'un web-blog pédagogique libanais.


     — Enfin, ne rechignons donc pas si, par aventure, nous cherchant, vous trouverez deux bla-bla-blogs au moins du même nom, le premier né en juillet 2007 qui n'a pas cherché plus loin, le second en septembre qui, averti de l'homonymie par les soins de Google-Blogger puisqu'il l'héberge aussi, a simplement (?) ajouté un trait d'union, Vous auriez vite vu que leurs contenus n'ont rien à voir, ni dans l'esprit ni dans l'aspect, avec le vôtre. Sans doute l'occasion de l'inscrire une bonne fois parmi vos signets ou favoris, afin d'éviter d'inutiles détours? (2). Le Monde du 4 avril 2007 m'avait appris que les premiers marins jetaient un rondin par-dessus bord (un log, en anglais), à la poupe de leur bateau. En comptant le temps écoulé pour qu'il s'éloigne, ils estimaient ainsi la vitesse du navire. C'est l'origine du mot blog, contraction de Web-log.
À ce propos, c'est aussi l'opportunité de lire (ou, pour les fouineurs et fouineuses, de relire) ici un texte écrit le 17 avril 2007: Ralentir travaux, pourquoi, pour qui, comment, parmi les premières tentatives de mettre en mots ce qui n'était alors que le début d'un projet. Et plus généralement encore sur ce sujet, dans cette partie Pour une petite histoire de Pour une petite histoire de Ralentir travaux, lieu ouvert mais plus intérieur, où je m'explicite un peu les choses, sans forcément y avoir renvoyé jusqu'ici depuis notre page d'accueil.


     1.
2 février 2009: atelier apparemment supprimé depuis.
     2. Dernier venu, découvert ce 12 juillet 2009: un très joli groupement d'artistes qui montrent discrètement et sans fioritures inutiles quelques-unes de leurs œuvres, sous ce même fort beau titre donc, dans une galerie virtuelle, créée en 2008, à Londres, complétée d'un espace de conversation. Bonne route à ces nouveaux conducteurs sur un réseau à vitesse limitée!