Mal nommer
un objet, c'est ajouter

au malheur de ce monde.

Albert Camus.


jeudi 22 octobre 2009

New York en octobre




Quelques nouvelles vues de New York cette fois, et plus seulement de Manhattan. L'occasion aussi de découvrir la nouvelle présentation de Manhattania, que nous espérons plus agréable.

Tout d'abord une rêverie naturaliste avec First animals; puis refaire certaines images deux ans plus tard, aux mêmes endroits, avec les mêmes cadrages et voilà que les images ne se ressemblent guère, dans Revoir Midtown; continuer les portraits volés dans le métro ou ailleurs pour se laisser emporter par le charme de ces gens croisés; deux échappées, l'une à Brooklyn avec ses friches industrielles, ses tags et ses sortes de shtetl à l'américaine de Willliamsburgh ou de Borough Park, l'autre à Harlem 6+1, autour de six femmes et un homme le temps d'une messe gospel à Mother African Methodist Episcopal Zion Church, 137th street@Lennox Av. aux alentours immédiats de The Abyssinian Baptist Church recommandée par tous les guides, pour les amateurs de queues de touristes de plusieurs heures, à seule fin de se retrouver à la messe entre Européens ou Asiatiques, et sans doute toutes les églises de l'immédiat voisinage sont-elles touchées par cette fièvre touristique, mais enfin au moins dans la nôtre n'aurons-nous pas passé notre dimanche à tenter d'y entrer. Reste que, pour un prochain voyage, nous tenterons d'approcher différemment la religiosité de Harlem, manifestement si vivante ailleurs que dans les circuits reconnus. Et toujours cette récolte provisoire du Chantier du World Trade Center, que nous pouvons dénommer aujourd'hui Ground One, en attendant qu'une collection cohérente permette un montage pertinent.

© Maurice Darmon, Manhattania: Halloween, 2009. Voir aussi nos Images.

dimanche 4 octobre 2009

L'Iran bougera


Une fiction doit voler en éclats, un sophisme se déjouer: il n'est pas naturellement nécessaire de posséder la bombe nucléaire pour exercer une souveraineté nationale et asseoir sa force politique et économique. Deux exemples suffiront: l'Allemagne et le Japon, à qui personne ne contestera l'autorité régionale et internationale, se classent aux premiers rangs de l'économie mondiale, sans bombe. Cette situation est même pensée sous le concept de "seuil nucléaire": un état technologique, scientifique et industriel suffisant pour développer l'énergie à des fins civiles, en s'interdisant politiquement tout développement à des fins militaires. S'appuyant sur un consensus national et le renforçant probablement, cette situation politique et éthique parvient, en démocratie, à perdurer et à convaincre, pour le plus grand bien de tous.
Neuf États possèdent aujourd'hui l'arme nucléaire. Les USA et la Russie, héritière de l'URSS, longtemps amenées à jouer les gendarmes du monde; d'autres, chargées d'un semblable équilibre, plus régional, mais tout aussi périlleux, comme l'Inde — voire le Pakistan, en réalité premier État de la prolifération, le second étant la Corée du Nord, en attendant l'Iran justement; la Chine, la France et le Royaume-Uni, les trois autres membres du Conseil de Sécurité des Nations-Unies, en charge de l'administration internationale; Israël enfin, État géographiquement minuscule, fondant sa puissance nucléaire de fait sur l'hostilité de son environnement immédiat.

L'Iran actuel n'est pourtant menacé par personne. Son ennemi traditionnel, l'Irak, est quasiment devenu son allié, ou est pour le moins durablement neutralisé; les éventuels périls pouvant venir de l'Afghanistan ne supposeraient évidemment pas la dissuasion atomique.
En revanche, sa rhétorique nucléaire préconise ouvertement la destruction d'Israël, jusque dans les grandes tribunes internationales, relativement coites. N'oublions cependant pas que cette volonté militaire date des années 1950, l'époque du Shah, grand ami d'Israël et qu'elle a été activée concrètement en 1985, lors du conflit qui opposa l'Iran à l'Irak. Une époque où, pour être déjà ancien, le conflit au Moyen-Orient se présentait ailleurs et tout autrement.

Il s'agit donc, sous prétexte de prendre la tête de la guerre totale antisioniste et anti-impérialiste, d'établir une hégémonie politique, régionale et internationale. Les pays arabes voisins ne peuvent être dupes de cette grossière manœuvre, ils savent que cette menace est d'abord dirigée contre eux et en pèsent les inéluctables conséquences: l'armement nucléaire iranien entraînerait à court terme une volonté semblable en Arabie Saoudite, en Égypte, en Syrie, en Turquie.
Mais comme, en matière de guerre et de paix, les apparences ne valent que si elles peuvent devenir réalité, personne ne peut demander à Israël de sous-estimer ces menaces explicites et répétées, émanant de ce sectaire religieux minoritaire dans son propre pays, qui croit dur comme fer au retour imminent du douzième imam Mahdi, occulté depuis 874, mais qui doit sortir très bientôt de sa cachette où il vit toujours, pour installer enfin la justice et la paix mondiale (1). Au-delà de son cynisme et de sa corruption, cette certitude mystique arme profondément l'actuel chef de l'État iranien.

Reste que, sur ce point comme sur d'autres, ce président et sa secte sont minoritaires dans leur propre pays. Tous les observateurs s'accordent pour dire que, au moins dans sa part active, le peuple iranien n'est pas antisémite, et que, nationaliste persan, il est même sans doute anti-arabe avant d'être antisioniste; que s'il est acquis à l'idée d'un nucléaire civil, comme beaucoup d'autres peuples, il est souvent réticent à son développement militaire; que, pour religieux qu'il est, il ne se reconnait simplement pas dans le fanatisme et la violente malhonnêteté de son illuminé président; qu'il se demande pourquoi, par tant de contre-vérités et de négationnismes, cet homme met ainsi l'Iran au ban de l'opinion occidentale, alors qu'il préférerait y trouver coopération et commerce; pourquoi ce chef des mafieux pasdarans s'obstine à s'attirer tant de sanctions douloureuses alors qu'est si criante l'urgence pour la simple vie quotidienne.

Ce n'est certes pas une révolution progressiste et altermondialiste qui s'est enclenchée en Iran, mais une de ces situations irréversibles où ceux qui sont en haut ne pourront bientôt plus y rester et où ceux qui sont en bas ne supporteront plus d'y être. Pas seulement des femmes, des jeunes, des étudiants, dans de romantiques et libertaires mouvements, mais des gens des villes et des campagnes qui, pris par le courage et l'espérance, savent qu'on peut mieux vivre dès maintenant, en répondant différemment aux propositions internationales, y compris celles, capitales et nouvelles, du président américain. Pourquoi ne s'est-on pas suffisamment étonné que les millions de manifestants, réunis au lendemain de la fraude massive présidentielle, ont crié "Mort à la Chine", "Mort à la Russie", ces amis de premier rang pressés de soutenir un parti à qui moins de quatre heures ont suffi pour compter manuellement quarante millions de votants, alors que nul, au cours de ces journées qui auront des lendemains, n'a jamais entendu crier "Mort à l'Amérique", dans un pays dont il serait pourtant naïf de croire qu'il n'a pas sa dose ordinaire d'anti-américanisme? L'Iran a définitivement bougé, plus rien ne l'empêchera de bouger bientôt encore.

1. Ainsi, le président iranien conclut son discours aux Nations-Unies du 17 septembre 2005 par une prière pour la venue du mahdi: «Ô Seigneur tout-puissant, je te prie de hâter la venue du dernier dépositaire de tes secrets, le Promis, cet être humain parfait et pur qui remplira ce monde de justice et de paix.»

©
Théodore Chasseriau: Esther se parant pour être présentée au roi de Perse, Assuérus, dit La toilette d'Esther (1841).

samedi 3 octobre 2009

I have a dream: le geste et la parole




Nous sommes tous conscients que les différents discours programmes de Barack Obama depuis son historique élection — discours de Prague, de Moscou, d'Accra, et en particulier ici celui du Caire — ont changé la donne et même déjà eu quelques concrètes conséquences sur l'état du monde. Une incertitude demeure, est-elle simplement en réserve? Nul ne sait vraiment s'il lui en coûterait, et combien, de dire vraiment, nettement, non au président des États-Unis aujourd'hui.

Ainsi, cette main tendue qui menace de se refermer comme un poing, le président iranien l'a laissée pour l'instant vaguement ballante, les siennes étant trop occupées à applaudir à sa brillante réélection dès le premier tour, à réprimer son opposition et à rédiger — ou, d'un index inflexible, à intimer l'ordre qu'on lui rédige — son dernier discours à l'ONU, énième provocation énième dénégation. Mais, définitivement et irréversiblement affaibli, il a tout de même été contraint d'autoriser l'AEIE à inspecter une usine atomique (ou une sorte de Theresienstadt dans le genre?) dont les Israéliens ont révélé l'existence au monde et aux services de renseignements américains. Si le sectaire du Mahdi s'est bien gardé de mettre son homologue américain devant l'embarras d'une pure et simple fin de non-recevoir, c'est qu'il n'en a certainement plus tout à fait la force, mais c'est aussi histoire de gagner du temps, l'allié décisif de la nucléarisation militaire de l'Iran depuis toujours.

Ainsi de la pitoyable réponse de Benyamin Netanyahou au discours du Caire, où Barack Obama mettait en avant la nécessité d'en finir avec les colonisations et les occupations — une subtile casuistique israélienne distingue les colonies répondant à une "croissance naturelle", celles de "priorité nationale comme en Cisjordanie, les "territoires tampons", les territoires retenus" les implantations "légales" et "sauvages", les bibliques renominations de "Judée-Samarie" et leurs dérives messianiques sous la férule du Bloc de la Foi, la proclamation de Jérusalem "capitale éternelle", et la "clôture de sécurité", jusqu'au "désengagement unilatéral" d'Ariel Sharon qui a eu le mérite de montrer que la chose était possible). "Cesser" les occupations, et déjà, trois mois plus tard, simplement les "modérer". Là aussi, l'administration américaine va-t-elle vraiment se fâcher pour de bon et quand? si les implantations (qui continuent sans modération devant une gauche israélienne, naguère quasi majoritaire et à peine capable aujourd'hui de les recenser), rendent impossible tout pas en direction de la paix, et, à la joie sincère du sectaire iranien, amènent Israël à se rayer tout seul de la carte?

Après avoir lu Aujourd'hui ou peut-être jamais, pour une paix américaine au Proche-Orient, le dernier livret-somme d'Élie Barnavi à lire d'urgence (fort court, il ne se résume pas, puisque, d'une certaine façon, il dit et redit tout), I have a dream.

J'écoute la radio:
«Nous interrompons nos programmes pour une nouvelle qui pourrait être de première importance. Ce matin, huit heures, heure locale, le président Mahmoud Abbas a annoncé solennellement la création de l'État palestinien souverain. Par la bouche même de leurs présidents, Israël et les USA l'ont aussitôt reconnu, suivis de la Chine et de la Russie. Un conseil extraordinaire de l'ONU a inscrit en urgence à l'ordre du jour la question de l'admission très prochaine du nouvel État à l'Assemblée des Nations Unies. Devant l'attitude unanime des membres du Conseil de Sécurité, l'ONU accueillera très bientôt son 193e membre.

«D'ores et déjà et conformément aux "paramètres Clinton" (23 décembre 2000 à Taba), une ligne de démarcation provisoire entre les deux États est sur le point d'être fixée sur la base des échanges entre terres d'implantation des colonies et terres actuellement sous souveraineté israélienne, ce qui concerne 3% de la superficie de la Cisjordanie. De même, le nouvel État exerce désormais toute souveraineté en tous domaines et s'engage à demeurer non militarisé pour l'instant.

«Cette annonce a soulevé l'espoir et même certaines manifestations spontanées de joie dans toutes les grandes villes palestiniennes et israéliennes, mais provoque un certain scepticisme du Hamas, du Hezbollah, et dans les milieux gouvernementaux iraniens, qui y voient "une nouvelle ruse de l'impérialisme et des lobbies sionistes", selon des sources généralement bien informées. Les principaux représentants de la diaspora palestinienne déclarent que, dans ces conditions, ils exerceront leur droit au retour dans leur patrie et encourageront leurs compatriotes, y compris ceux vivant dans l'État voisin d'Israël, à procéder ensemble à la construction de leur pays.

«Faut-il y voir des signes? Les porte-paroles des deux présidents, palestinien et israélien, ont conjointement indiqué que les premières décisions concrètes concerneront les modifications à apporter d'urgence aux manuels scolaires dans les deux pays.
D'autre part, une association américaine de couples mixtes en exil a même demandé que les deux États envisagent bientôt la création d'implantations spécifiques dans chaque pays, afin de les recevoir pour les aider à réussir leur retour sans mettre immédiatement leur vie en péril.

«Enfin, nous apprenons à l'instant que le Président Barack Obama se rendrait très prochainement à Jérusalem-Al Quds, où s'installeront probablement les capitales des deux États, pour deux importants discours, destinés à préciser les prochains développements.»

I have a dream. C'est si simple qu'on peut se demander pourquoi ce n'est pas encore advenu. C'est qu'il faut des gouvernements plus forts pour décider de la paix que pour indéfiniment tirer profit et légitimité de la guerre.

© Image: Fayoum sur bois en provenance d'Er Rubayat, Égypte, 350-370 AC.