Mal nommer
un objet, c'est ajouter

au malheur de ce monde.

Albert Camus.


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samedi 4 février 2012

Michael Radford: Michel Petrucciani (2011)



Connu des amateurs de jazz pour ses critiques éclairées publiées dans toutes les revues spécialisées, Philippe Méziat continue ici à nous faire l'amitié de sa coopération. Il nous offre aujourd'hui ce texte, à propos de la sortie en DVD ce 7 février aux éditions Montparnasse de Michel Petrucciani, de Michael Radford.

Michel Petrucciani. — Les films sur la musique sont rarement de grandes réussites, ou alors par raccroc, sans que leur auteur se soit explicitement donné comme objectif de filmer la musique. Honky Tonk Man (Clint Eastwood, 1982) est par exemple bien plus juste que Bird, du même auteur, qui voulait expressément restituer quelque chose de la vie de Charlie Parker. Car les films sur le jazz souffrent le plus souvent, encore aujourd’hui, de la trop grande proximité de leur auteur et du sujet qu’ils choisissent de traiter. Aimer le jazz et les jazzmen constitue plutôt un obstacle quand il s’agit d’en évoquer les figures. Et si Michel Petrucciani est, dans le genre, plutôt une bonne surprise c’est que son réalisateur n’avait au départ aucun lien particulier avec le sujet, et qu’il s’est lancé dans l’affaire comme un bon professionnel du documentaire, sans plus.

Né le 28 décembre 1962 à Orange, Michel Petrucciani est mort le 6 janvier 1999 à New York. Atteint par la maladie dite des os de verre, il a néanmoins appris très tôt à jouer du piano, et s’est taillé une belle réputation dans les milieux du jazz au point que l’on considère qu’il est l’un des trois ou quatre plus importants jazzmen français avec Django Reinhardt, Stéphane Grappelli et Martial Solal — ce dernier toujours en activité.

Le film de Michael Radford est à ranger dans la catégorie des biographies filmées. Il est construit et monté à partir d’entretiens réalisés récemment avec des proches du pianiste (famille, voisins, compagnes, enfant, amis, agents, tourneurs et autres personnes l’ayant plus ou moins bien connu), auxquels le réalisateur ajoute des extraits (souvent inédits) de vidéos réalisées au long de la carrière du musicien. L’ensemble est monté avec un très grand sens de la progression dramatique et permet de suivre les épisodes essentiels de la vie de Michel Petrucciani en même temps que se construit son portrait. Un portrait qui se tient éloigné de l’hagiographie, et révèle les contradictions, les excès de langage, les écarts de vie d’un homme terriblement attachant et séducteur. On ne s’ennuie pas une seconde, à l’image du pianiste lui-même qui a vécu à grande vitesse, fuyant tout ce qui aurait pu briser son indéfectible désir de jouir de la vie, et ce quoi qu’il en coûte.

On sort de la vision de ce DVD avec le sentiment d’avoir passé un moment de très grande proximité à l’égard de l’instrumentiste, et d’avoir appris sur lui énormément de choses. Je l’avais approché trois ou quatre fois (dont deux fois en entretien public) sans jamais arriver à cerner vraiment quelque chose de sa personnalité. Certes, sa maladie, sa malformation, étaient au premier plan dans son approche, mais comme sa vie avait été construite sur la volonté de forcer le destin qui lui semblait assigné, j’ai eu tendance à me comporter avec lui comme avec quiconque. Attitude peut-être fautive, car — comme le remarque son fils, lui-même atteint par la même maladie — quand la nature vous a placé en dehors de la norme, vous n’avez le choix que de vous y soumettre dans la souffrance, ou de la dépasser en atteignant la catégorie de l’exceptionnel. Ce qu’a réussi Michel, qui considéra très tôt le piano comme un instrument qui le défiait par le ricanement de ses touches noires et blanches, qui releva le défi en osant briser d’un coup de marteau le piano-jouet que sa mère venait de lui offrir, et manifesta tout enfant des talents prodigieux. Donc tout, sauf un musicien «normal»! Et quand on ne rentrait pas dans le jeu qui faisait de lui un être irrésistible et performant, on restait sur le pas de la porte !

Ce film a donc réparé pour moi ce qu’une attitude réservée et pudique (prudente ?) m’avait caché dans la réalité. Il ne dit pas grand chose de la musique de Michel Petrucciani, mais révèle avec précision les aspects les plus étonnants de son jeu de pianiste, et explique au passage même ses incroyables talents. Parmi les questions que le film pose — ou peut amener à poser — il y a celle du moment où cet extra-terrestre arrive dans l’histoire du jazz. Il va en réveiller la somnolence, faire croire un instant à un retour de l’âge d’or, tant la force de son désir est vigoureuse et son plaisir de se trouver au milieu de ses idoles. Autre question récurrente, implicite ici: celle du caractère légendaire du musicien de jazz, liée à quelque chose qui le met en dehors des normes, trait qu’il partage avec nombre d’artistes dont on imagine mal la vie réglée et le travail à heures fixes. Et pourtant…

Un dernier mot pour souligner la chance que nous avons de disposer de tous ces documents filmés, même s’ils sont parfois de qualité moyenne. Quand on songe que de Charlie Parker il doit rester quelques minutes de films et d’entretiens, quelques rares traces écrites… D’un autre côté l’œuvre est là, et ce sont les enregistrements. De ce point de vue, et concernant Michel Petrucciani, je conseillerais plutôt les disques réalisés vers la fin de sa vie, en particulier en solo absolu (Solo Live, Dreyfus FDM 36597-8), ou avec Steve Gadd (dm) et Anthony Jackson (b) (Trio In Tokyo, Dreyfus FDM 36605). — Philippe Méziat.

© Michel Petrucciani, galerie de photos et d'images, n° 531.

lundi 16 janvier 2012

Jacques Lacan: Conversation avec Philippe Méziat


Ralentir travaux. — On te connaît pour tes textes et articles dans toutes les revues qui comptent sur le jazz, mais Jacques Lacan et toi, c'est une longue histoire, non?

Philippe Méziat. — J’ai eu de la chance. J’ai entendu parler de Jacques Lacan en 1962, en assistant au cours de Psychologie Générale d’Henri Maldiney, à Lyon. Je ne sais pas s’il suivait les séminaires du psychanalyste à Paris, mais il nous introduisait à la lecture de Lacan en deuxième partie de son cours (après un trimestre sur Freud), et comme un moment intermédiaire avant ce qui lui paraissait l’étape ultime de son enseignement, la phénoménologie existentielle de Ludwig Binswanger. Je ne comprenais pas grand chose à tout ça, mais Maldiney — il devrait avoir cent ans en août 2012 — était très convaincant, et son cours d’esthétique du jeudi était suivi par toute une intelligentsia lyonnaise constituée bien au-delà de ses élèves. Au fond, un peu comme Lacan à Paris…

Onze ans plus tard, autre chance, j’ai regardé Télévision, ce film en deux parties de Benoît Jacquot, où Jacques-Alain Miller interroge Lacan sur l’Inconscient, les trois questions de Kant, et autres sujets essentiels. Les réponses de Lacan, cet énoncé étonnant qui inaugure le film («Je dis toujours la vérité… pas toute») me sont tout de suite apparus comme marqués du sceau de l’évidence, même si je continuais à n’y rien comprendre, ou pas grand chose. Mais — comme le fit remarquer un lecteur de Télérama la semaine suivant les diffusions —, peu importe ce qu’on «comprend» quand on a la certitude que celui qui parle dit la vérité autant qu’il peut le faire, et témoigne d’un engagement dans une pratique (la psychanalyse) et un enseignement auxquels il a voué sa vie. Il y a un index de la vérité, bien au-delà de ce qu’on peut entendre des énoncés...

R. T. — Savoir et vérité!

P. M. — ... Ensuite, ça se complique, mais les effets de ces rencontres premières ne se sont jamais effacés. J’ai assisté au séminaire de Lacan une fois (sur Litturaterre), j’ai découvert les Écrits au moment de leur parution, puis les séminaires rédigés par Jacques-Alain Miller, j’ai suivi une analyse personnelle de treize ans, j’ai travaillé dans des cartels de l’École de la Cause Freudienne à Bordeaux. Je continue à rester plus ou moins immergé dans le discours analytique. Comme on disait à Lyon, je n’en intuite encore pas grand chose, mais c’est sans importance. Il reste un certain nombre de points de repères qui me guident, quelques formules qui m’éclairent le monde, et toujours cette même conviction que Lacan était un sacré bonhomme et qu’on fait bien de l’écouter et de le lire.

«Un désir en béton armé», voilà Lacan. Probablement pas facile, non seulement à lire, mais à suivre, si ce n’est à supporter. Quand même : trente ans se sont écoulés depuis sa mort (1981) et le dernier trimestre 2011 aura permis de marquer ça, avec une Vie de Lacan de Jacques-Alain Miller encore inachevée [Navarin, 2011 NDLR], une série de belles émissions de radio — France Culture, et une radio belge — où le même Miller — il a épousé Judith, la fille du psychanalyste — se laisse aller à raconter sa vie avec Lacan, quelques empoignades aussi avec les habituels colporteurs de ragots et autres formes de l’envie jalouse.

Et puis ce film de Gérard Miller, le jeune frère de Jacques-Alain, passé une fois à la télévision...

R. T. — Et qu’on va pouvoir regarder maintenant tout à loisir, avec ses suppléments! Il sort en DVD aux éditions Montparnasse le 7 février prochain. Si tu en faisais la recension pour sa sortie sur Ralentir travaux?

P. M. — Chiche!

R. T. — Rendez-vous est pris donc. Et du coup, tu nous offres aussi la recension du dvd qui sort le même jour aux mêmes Éditions Montparnasse sur le pianiste Michel Petrucciani, un documentaire de Michael Ratford?

P. M. — Oui, 2011 aussi. C'est drôle. On verra, on verra, oui, pourquoi pas?

© Couverture de la revue PM, II, 3, octobre 1936.

mercredi 20 mai 2009

Ralentir Travaux: lorsque l'enfant paraît, le cercle de famille


Après deux années de collaboration généreuse à
Ralentir travaux, Philippe Méziat ouvre son espace personnel. Vous y retrouverez tous les textes publiés jusqu'ici dans notre site, ses Chroniques, ses Recensions, son Alphabet des musiciens. Nous lui donnons volontiers aussi nos recommandations vidéo en matière de jazz, ici dans Écouter voir. Gageons que nous irons bientôt glaner chez lui ses trouvailles et merveilles, pour enrichir notre propre section.

De même, nous avions signalé ici la naissance d'un artiste de la musique et du clavecin. Nous sommes heureux aujourd'hui de parrainer le site personnel d'Aurélien Delage, où vous pourrez suivre toute son actualité, en particulier celle de ses concerts. Enfin, nous n'avions jamais eu l'occasion d'évoquer sur Ralentir travaux l'immense luthiste et musicien, Eugène Ferré, professeur au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon, concertiste et directeur d'ensemble. Là encore, nous tenons sur les fonts baptismaux le site personnel d'Eugène Ferré et celui, encore en construction mais déjà accessible, de son épouse, l'unique flûtiste Sabine Weill, professeur au Conservatoire de Musique et de Danse Darius-Milhaud d'Aix-en-Provence,
créatrice du Département de Musique Ancienne et animatrice d'un atelier d’initiation à la Gravure Musicale Informatique.

Ces quatre sites se ressemblent, c'est normal, une sorte d'air de famille. Nous sommes gros de deux autres, dont nous vous laissons la prochaine surprise.

mardi 21 avril 2009

John Cassavetes, invité 1. Philippe Méziat: jazz et improvisation

Suite à toutes les contributions sur le jazz dont il nous régale, notre compagnon Philippe Méziat a la bonne idée d'inscrire sa contribution dans notre travail en cours sur John Cassavetes.

John Cassavetes, le jazz et la question de l'improvisation.Ce texte a été publié dans Pour John Cassavetes, paru aux éditions Le Temps qu'il fait.

En librairie


Pour John Cassavetes
Cliquer sur les couvertures pour plus d'informations
Si vous préférez le commander aux éditions Le temps qu'il fait,
cliquer ici
.



© John Cassavetes, Too late blues (1961).

lundi 23 mars 2009

lundi 2 mars 2009

TSF Jazz, Accujazz, Les Allumés du Jazz: qualité à profusion



Écouter du jazz de qualité sur le Net n'est pas si courant qu'on l'imagine. Remercions
notre collaborateur en la matière, Philippe Méziat, de nous avoir parlé de TSF Jazz, une station qui n'est certainement pas inconnue des amateurs chevronnés. Nous l'avons explorée cette semaine et, vraiment, en famille, nous sommes allés de surprise en surprise. Le cœur vivant de la station est réuni dans le chapitre Podcasts — on ne peut vraiment podcaster, mais on peut écouter à la demande — qui ouvre en particulier sur
Jazzlive, ensemble mensuel de concerts récents de belle qualité, enrichi de quelques perles plus anciennes que nous vous laissons le plaisir de découvrir; sur Si bémol et fadaises où Pierre Bouteiller organise des semaines thématiques; sur les Lundis du Duc (des Lombards) dirigés par Sébastien Vidal. Un peu partout ensuite, sur le reste du site, des informations, des chroniques d'actualité du jazz (mais pas seulement, du cinéma, des expositions, du théâtre aussi dans Coup de Projecteur) et des anniversaires de l'histoire du jazz, dignement célébrés. On ne peut épuiser en paroles le contenu d'un site aussi musical, qui semble avoir tellement à cœur de se renouveler que vous ne parviendrez probablement pas à déguster le menu mensuel, entrées, fromages ET dessert.

Le saxophoniste Alex Golino (voir dans Jazz à Bordeaux de Philippe Méziat) nous fait par ailleurs un immense cadeau en la matière: il nous révèle l'existence du site le plus complet possible sur ces musiques, Accujazz, the future of jazz radio, en anglais comme cela se lit, qui organise notre écoute en différentes stations, au choix. Par styles, par instruments, par compositeur, par décades, par régions et le reste dans "others", et, quand on clique, on ouvre sur une surprise, toujours nouvelle.

Enfin, nous rappelle Philippe Méziat, tous ceux que le jazz de tous ne suffit pas à rassasier iront sur le site des Allumés du Jazz, qui allie la profonde tradition à l'extrême modernité. Ce site d'entreprise informe de façon riche sur les quarante-neuf labels indépendants qu'elle distribue, où il puise un choix en continu sur une Web Radio. Et comme chez les grands tout est grand, ainsi qu'aime à dire une autre de nos amies, ni Accujazz ni TSF Jazz ni Les Allumés du Jazz ne sont avares en adresses et liens de toutes sortes, inépuisables. D'une certaine façon, nous en avons pour la vie.


jeudi 1 janvier 2009

Philippe Méziat: vingt ans de travail

Philippe Méziat est le directeur du Bordeaux Jazz Festival qui aura cette année offert à sa ville sa huitième et ultime édition. Après la fin du fameux Sigma, le jazz était à affirmer et à réintroduire à Bordeaux. Philippe Méziat s'y attela dès 2001 avec des musiciens du calibre de Sophie Domancich, Stephan Oliva, ou Hélène Labarrière. Au fil des années, Richard Galliano, Eddy Louiss, Joëlle Léandre, Michel Portal, Louis Sclavis, Martial Solal, Baptiste Trotignon, Franck Carlberg, Vincent Courtois et tant d'autres peuplèrent la scène de Bordeaux, d'une façon devenue à la fois familière et indispensable. Mais cette année, où Bordeaux s'est donné des façons de Brooklyn, aura malheureusement été la dernière: "l'édition la plus belle et la plus heureuse depuis la fondation du Festival... Le temps est venu de résister ailleurs, mais autrement".
Vous l'avez déjà lu dans nos pages, Philippe Méziat réunit ici [dans son site désormais, depuis le 20 mai 2009] un ensemble d'écrits sur les musiciens du jazz et sur ses événements (concerts, disques, livres et documents). Voilà qu'il vient de prendre le temps de rédiger pour notre site la chronique des années 1994-2008, poursuivant ainsi un article qu'il avait publié aux Cahiers du Jazz en 1994, sur les années 1988-1993. Bien entendu, les amateurs bordelais retrouveront non sans nostalgie des noms connus, leurs lieux familiers pour la plupart disparus ou revisités. Mais plus généralement, cette chronique laisse aussi entrevoir et mesurer depuis combien de temps il est nécessaire et pressant de s'interroger sur les politiques publiques en matière de musique, sur ce qu'on peut appeler un public et espérer de lui, sur l'énigme même de l'ère du jazz. Il se trouve que c'est de Bordeaux que nous est offerte cette occasion d'illustrer cette fameuse phrase de Miguel Torga (deux notes de lecture ici sur cet écrivain portugais): "L'universel c'est le local moins les murs".