Mal nommer
un objet, c'est ajouter

au malheur de ce monde.

Albert Camus.


lundi 16 janvier 2012

Jacques Lacan: Conversation avec Philippe Méziat


Ralentir travaux. — On te connaît pour tes textes et articles dans toutes les revues qui comptent sur le jazz, mais Jacques Lacan et toi, c'est une longue histoire, non?

Philippe Méziat. — J’ai eu de la chance. J’ai entendu parler de Jacques Lacan en 1962, en assistant au cours de Psychologie Générale d’Henri Maldiney, à Lyon. Je ne sais pas s’il suivait les séminaires du psychanalyste à Paris, mais il nous introduisait à la lecture de Lacan en deuxième partie de son cours (après un trimestre sur Freud), et comme un moment intermédiaire avant ce qui lui paraissait l’étape ultime de son enseignement, la phénoménologie existentielle de Ludwig Binswanger. Je ne comprenais pas grand chose à tout ça, mais Maldiney — il devrait avoir cent ans en août 2012 — était très convaincant, et son cours d’esthétique du jeudi était suivi par toute une intelligentsia lyonnaise constituée bien au-delà de ses élèves. Au fond, un peu comme Lacan à Paris…

Onze ans plus tard, autre chance, j’ai regardé Télévision, ce film en deux parties de Benoît Jacquot, où Jacques-Alain Miller interroge Lacan sur l’Inconscient, les trois questions de Kant, et autres sujets essentiels. Les réponses de Lacan, cet énoncé étonnant qui inaugure le film («Je dis toujours la vérité… pas toute») me sont tout de suite apparus comme marqués du sceau de l’évidence, même si je continuais à n’y rien comprendre, ou pas grand chose. Mais — comme le fit remarquer un lecteur de Télérama la semaine suivant les diffusions —, peu importe ce qu’on «comprend» quand on a la certitude que celui qui parle dit la vérité autant qu’il peut le faire, et témoigne d’un engagement dans une pratique (la psychanalyse) et un enseignement auxquels il a voué sa vie. Il y a un index de la vérité, bien au-delà de ce qu’on peut entendre des énoncés...

R. T. — Savoir et vérité!

P. M. — ... Ensuite, ça se complique, mais les effets de ces rencontres premières ne se sont jamais effacés. J’ai assisté au séminaire de Lacan une fois (sur Litturaterre), j’ai découvert les Écrits au moment de leur parution, puis les séminaires rédigés par Jacques-Alain Miller, j’ai suivi une analyse personnelle de treize ans, j’ai travaillé dans des cartels de l’École de la Cause Freudienne à Bordeaux. Je continue à rester plus ou moins immergé dans le discours analytique. Comme on disait à Lyon, je n’en intuite encore pas grand chose, mais c’est sans importance. Il reste un certain nombre de points de repères qui me guident, quelques formules qui m’éclairent le monde, et toujours cette même conviction que Lacan était un sacré bonhomme et qu’on fait bien de l’écouter et de le lire.

«Un désir en béton armé», voilà Lacan. Probablement pas facile, non seulement à lire, mais à suivre, si ce n’est à supporter. Quand même : trente ans se sont écoulés depuis sa mort (1981) et le dernier trimestre 2011 aura permis de marquer ça, avec une Vie de Lacan de Jacques-Alain Miller encore inachevée [Navarin, 2011 NDLR], une série de belles émissions de radio — France Culture, et une radio belge — où le même Miller — il a épousé Judith, la fille du psychanalyste — se laisse aller à raconter sa vie avec Lacan, quelques empoignades aussi avec les habituels colporteurs de ragots et autres formes de l’envie jalouse.

Et puis ce film de Gérard Miller, le jeune frère de Jacques-Alain, passé une fois à la télévision...

R. T. — Et qu’on va pouvoir regarder maintenant tout à loisir, avec ses suppléments! Il sort en DVD aux éditions Montparnasse le 7 février prochain. Si tu en faisais la recension pour sa sortie sur Ralentir travaux?

P. M. — Chiche!

R. T. — Rendez-vous est pris donc. Et du coup, tu nous offres aussi la recension du dvd qui sort le même jour aux mêmes Éditions Montparnasse sur le pianiste Michel Petrucciani, un documentaire de Michael Ratford?

P. M. — Oui, 2011 aussi. C'est drôle. On verra, on verra, oui, pourquoi pas?

© Couverture de la revue PM, II, 3, octobre 1936.