Mal nommer
un objet, c'est ajouter

au malheur de ce monde.

Albert Camus.


vendredi 13 janvier 2012

Rwanda: la fin d'un négationnisme



3. 13 janvier 2012. Un négationnisme démasqué. —
Ainsi, dix-huit ans après les faits, le juge français Marc Trévidic a établi clairement, sur la base de démonstrations scientifiques balistiques irréfutables, que, ce sont les extrémistes hutu qui, le 6 avril 1994, ont assassiné le président Juvénal Habyarimana au moment même où il venait d'accepter le partage du pouvoir avec les Tutsi. Les tirs qui ont abattu l'avion présidentiel sont partis du camp militaire de Kanombé avec l'intention préméditée d'installer la terreur et d'enchaîner aussitôt sur le génocide qui aboutit à la mort de huit cent mille Tutsi et quelques Hutu modérés.

La fable sans preuves du juge Jean-Louis Bruguière selon laquelle le génocide aurait été programmé par l'actuel et par ailleurs fort inquiétant président Paul Kagamé, les Tutsi organisant ainsi leur propre massacre, vole donc en éclats, et avec elle les mensonges intéressés du négationniste Pierre Péan, ajoutant néanmoins que, pour qui savait simplement lire, ils éclataient sans peine, lui qui prétendait par ailleurs n'avoir pas davantage besoin de preuves pour mentir aussi sur Bernard Kouchner. Nous remontons donc à cette date nos deux anciens articles des 7 et 16 février 2009.



2. 16 février 2009. Pour en finir avec Pierre Péan. — Nous aurions vraiment aimé en rester là avec Pierre Péan. Mais puisque lui et ses pareils veulent réduire le problème de ce Monde selon K. à la présence ou à l'absence d'un mot malheureux ("cosmopolitisme"), et que nous savons leur mal plus profond, donnons à lire ce qu'il a écrit, p. 44 de son célèbre Noires fureurs, blancs menteurs: Rwanda, 1990-1994 (Fayard / Mille et une nuits, 2005):

«Les rebelles Tutsi ont (...) réussi jusqu’à maintenant à falsifier complètement la réalité rwandaise, à attribuer à d’autres leurs propres crimes et actes de terrorisme, à diaboliser leurs ennemis. Enquêter au Rwanda relève du pari impossible tant le mensonge et la dissimulation ont été élevés par les vainqueurs au rang des arts majeurs (…) Kagamé et ses collaborateurs Tutsi ont, jusqu’à présent, réussi à ce que l’opinion publique internationale prenne des vessies pour des lanternes. (…) Cette culture du mensonge s’est particulièrement développée dans la diaspora Tutsi. Pour revenir “l’an prochain à Kigali”, celle-ci a pratiqué avec efficacité mensonges et manipulations. Les associations de Tutsi hors du Rwanda ont fait ainsi un très efficace lobbying pour convaincre les acteurs politiques du monde entier de la justesse de leur cause. Elles ont infiltré les principales organisations internationales, et d’aucuns, parmi leurs membres, ont su guider de très belles femmes Tutsi vers des lits appropriés (…) Leur brillante intelligence a su parfaitement se jouer de nombreux milieux intellectuels».

Qu'on ne vienne pas ici nous parler de lecture symptômale, l'homme de plume organise le plus clairement du monde sa terrible transposition. En une seule page
(1), il orchestre: "diaspora Tutsi", "lobbying", son admiration pour la "brillante intelligence" prêtée aux Tutsi, qui "ont infiltré les principales organisations internationales". Plus précisément encore, il introduit son propre humour, en clarifiant l'intention des Tutsi par ce cauchemardesque "l'an prochain à Kigali" — fabriqué, il faut le rappeler, sur le modèle de la prière domestique récitée pour les fêtes de la Pâque juive: "L'an prochain à Jérusalem", prière d'espérance purement religieuse, dont il serait déjà malhonnête de s'emparer à propos du conflit du Moyen-Orient, Conflit et atavismes supposés dont les obsessions servent tant de pochoirs à ce journaliste qu'elles en deviennent ses clés délirantes pour conflits tous azimuts.

Travaux pratiques faciles à réaliser chez soi: remplacez dans le texte ci-dessus "Tutsi" par "Juif"
(2) ou "sioniste" et rien ne distinguera plus cette prose de celle des vulgaires antisémites.

1. On retrouvera ce passage, et bien d'autres malheureusement, dans une étude d'Assunta Mugiraneza: Pierre Péan et le Rwanda ou le discours de la haine (L'Arche n° 581, septembre 2006), qu'on pourra lire dans le site du collectif VAN (Vigilance arménienne contre le négationnisme, un de plus). Faut-il rappeler que dans son élan moralisateur, Pierre Péan minimise, pour le moins, le génocide des Tutsi? Comme quoi tous les négationnismes passent par des formes rhétoriques obligées.
2. D'autant que, pour les amateurs de glisse en politique, le problème pourrait se pimenter, si on ajoute foi à tous les historiens qui pensent déceler une origine juive des Tutsi. Par exemple, cette petite synthèse, L'origine juive des Tutsi, rédigée par Mathias Niyonzima. Et la blogosphère de s'emparer de cette thèse pour la glorifier ou la diaboliser, au gré des préjugés du lieu et du jour.

© Photographie: coiffe Tutsi, rappelant les coiffes royales pharaoniques, en particulier la khepresh de Ramsès II (1279-1212 av. J.-C.). Auteur inconnu, droits réservés.



1. 7 février 2009. Le torchon brûle. — Un plumitif récidiviste — Pierre Péan — qui commence dans les vingt premières pages par écrire que ce qu'il va révéler sur un homme — Bernard Kouchner — peut se passer de preuves; que les échafaudages qu'il va rapporter ensuite ne dénonceront aucune illégalité commise par ce «personnage», comme il le désigne; qui entraîne ensuite son lecteur — appelons par convention "lecteur" celui qui se laissera longtemps piéger par lui dans cette posture, je n'en suis pas — dans un embrouillamini autour du Rwanda, où seul un expert pourrait distinguer pour l'honnête homme le faux du vrai, le clair de l'obscur; qui finit surtout par dire clairement que ce qu'il a à reprocher en réalité à cet homme, ce sont: son sentiment «américanolâtre» (1), son «rêve d'effacer cinquante ans de politique étrangère indépendante de la France», son rejet d'une «indépendance nationale honnie au nom d'un cosmopolitisme anglo-saxon» et, ni last ni least, ses origines (2), devinez lesquelles; qui laisse son éditeur — Fayard! on se souvient des régulières imprécations morales de son directeur Claude Durand sur les torpilleurs de l'édition française — mettre éhontément leur commun produit à l'ombre portée de trois immenses écrivains, en le titrant Le monde selon K. (nous vous laissons le bonheur de puiser dans vos vraies lectures pour identifier vous-même les écrivains sous-jacents: vous vous direz alors avec moi: oui, rien que ça!) et à l'abri d'une "couverture" (sic) où l'homme en question, tel une épousée ravie, se blottit dans les bras de l'ancien président américain (3), l'éditeur donc, puisque éditeur il se nomme, comptant ainsi faire confluer sur son poulain nos admirations littéraires et les petites haines indécises; un tel auteur ne saurait être un homme libre, ni son propagateur (4). Nous n'avons aucune estime particulière pour ce qu'a pu déclarer ou faire le Ministre des Affaires Étrangères, nous l'avons dit en son temps, mais nous attendons l'historien, ou au moins le libre journaliste d'investigation, qui nous éclairera posément sur la vie, la cour, les intérêts et les mobiles d'Un certain P. P. (j'offre ici le titre à celui qui s'aventurera dans les mystères d'une si longue et si durable carrière). Un brûlot? Non, un torchon.

1. «Américanolâtre»: accusation (car c'en est une: quel mot désigne la vertu inverse?) que Bernard Kouchner n'a guère de mal à nuancer: «Je conseille à l'auteur de relire mon article dans Le Monde à l'époque "Non à la guerre, non à Saddam". J'y écrivais très clairement: "il ne faut pas suivre les Américains, ils nous mentent sur les armes de destruction massives. Il faut passer par le système des Nations Unies." (...) J'ajoute, si c'est nécessaire, que pendant une bonne partie de l'année qui vient de s'écouler, je me suis ouvertement opposé aux Américains, que ce soit sur le Liban, les relations avec la Syrie, l'entrée de l'Ukraine et de la Géorgie dans l'Otan ou la poursuite de la colonisation dans les territoires palestiniens».

2. Pierre Péan écrit: «Bernard Kouchner insiste sur sa "double judéité", affirmant paradoxalement que "être à moitié juif, c'est être deux fois juif", comme s'il voulait indiquer qu'il faut chercher là le principal moteur de ses actes (...) cela permettrait de comprendre son engagement fort et constant auprès des minorités». Voici comment Pierre Péan induit ce qu'il convient de penser des gens et les choses: "paradoxalement", "comme si". Comme s'il suffisait d'affirmer pour que le lien "comme s'il voulait", le "paradoxe", et le béni conditionnel présent, deviennent à chacun évidents car, franchement, je ne vois aucun "paradoxe" dans cette profonde réflexion de Kouchner, ni aucune invitation à y réduire ses actes et ses engagements que je peux comprendre tout autrement. Comme si Pierre Péan ne faisait qu'entrer dans les désirs de Bernard Kouchner en allant chercher là où il lui indique de le faire. Comme s'il suffisait qu'il confesse après coup (ah, l'art du trop tard quand, comme on dit, le mal est fait!) qu'il n'aurait pas dû utiliser le mot "cosmopolitisme": pour quelle réédition d'ailleurs, car, pour l'instant, malgré ces réserves mentales, Fayard se borne à réimprimer, et à tour de bras. Et quand auteur, éditeur et leur cour auront tenté de fixer toute l'opération sur la présence ou l'absence de ce sacré mot, qu'adviendra-t-il de tous ces restes?
Nous écrivions "plumitif récidiviste". Sur la façon dont le professeur de morale instrumentalise les clichés et — disons — préjugés sur la perfidie, la duplicité, le génie, certes, mais malfaisant, de certaines ethnies, voir notre note du 16 février 2009, ci-dessus.

3. Cette photographie eût-elle été authentique, elle eût depuis longtemps fait le tour du monde. Nos deux moralistes, auteur et éditeur, auront sans doute préféré abriter leurs leçons de morale sous un montage au détourage — words, words! disons plus simplement un bidouillage tout à fait bâclé d'ailleurs: Didier Thimonier, l'atelier / © Suzanne Plunkett, la photographe, Landov / Maxppp., l'agence.

4. Et qu'on ne vienne pas cyniquement (de cynos = chien) nous dire que c'est grâce à ce genre de produits réimprimé deux fois le jour même de sa sortie que Fayard peut nous offrir presque en même temps un volume superbement illustré: Leçons sur l'Enfer de Dante, deux conférences données par le jeune Galilée sur la géométrie de l'Enfer, traduites par Lucette Degryse et postfacées par le grand scientifique Jean-Marc Lévy-Leblond. Alors nous vient enfin l'envie, la joie, l'ardente obligation d'écrire le mot "livre", et de rappeler que le premier principe de Ralentir travaux est de ne jamais faire ni des livres ni des films de critique négative, le silence alors l'exprimant bien mieux, ce qui n'est évidemment pas le cas quand nous sommes soumis ensemble à des opérations politiques, et qu'il nous faut bien protester. Au moins.