Mal nommer
un objet, c'est ajouter

au malheur de ce monde.

Albert Camus.


samedi 14 janvier 2012

Fariba Hachtroudi: Ali Khamenei ou les larmes de Dieu




Fariba Hachtroudi est une journaliste et écrivain iranienne née à Téhéran en 1951. Elle est la fille du mathématicien Moschen Hachtroudi. Ses textes et son engagement au sein du Conseil national de la résistance iranienne lui ont valu une fatwa la déclarant «ennemie de Dieu» en 1985. Elle anime l'association humanitaire MoHa (premières syllabes du prénom et du nom de son père) pour venir en aide aux Iraniens en exil.

Pour qui suit l'évolution de l'Iran, espère depuis des années en sa prochaine et urgente libération, Fariba Hachtroudi vient de faire paraître une intéressante biographie, Ali Khamenei ou les larmes de Dieu (Gallimard, 2011).

Dans sa chronique parue dans Le Monde du 13 janvier 2012, Alain Frachon en donne un résumé que nous trouvons nécessaire d'extraire ici.

L'homme qui veut fermer Ormuz. — [...] Il ne faut pas se tromper. Le président de la République islamique, Mahmoud Ahmadinejad, fait volontiers les titres de l'actualité, à coups de provocations et de déclarations fracassantes. Il a du pouvoir et des alliés. Mais le pouvoir, le vrai, est aux mains d'Ali Khamenei.

Curieux destin que celui de cet élégant mollah, né dans une famille modeste, devenu l'un des fidèles de Ruhollah Khomeyni, l'ayatollah qui renversa la monarchie iranienne fin 1978. Silhouette élancée, mise soignée, robe taillée sur mesure, on ne lui connaît aucun succès particulier, ni en tant qu'opposant ni au pouvoir. Il a cette qualité: il est toujours là au bon moment.

Il est, en 1981, le premier membre du clergé chiite à assurer la présidence de la nouvelle République. À la mort de Khomeyni, il s'impose par défaut pour prendre la succession du Guide. Il a à peine cinquante et un ans. Il est fin politique, mais théologien des plus médiocres — il a fallu de toute urgence lui donner le titre d'ayatollah, le grade le plus haut dans la hiérarchie du clergé chiite, pour qu'il puisse accéder au trône du Guide!

Opposante, Fariba Hachtroudi a obtenu des témoignages de l'entourage de Khamenei, de sa famille et d'un ancien des services secrets aujourd'hui réfugié à l'étranger. Elle dresse un portrait tourmenté. Khamenei est un homme complexe. Il y a l'amateur de poésie, de belles lettres, de musique, de cinéma; celui qui, voix posée, douce et calme, manie un farsi des plus sophistiqués.

Ce profil masque l'autre. Celui du «tyran déifié», écrit Fariba Hachtroudi, du mollah élevé dans la haine de l'Occident et qui, pour préserver la République islamique de toute dérive "occidentale", a commandité purges et campagnes d'assassinats répétées.

C'est sous sa mandature que les Gardiens de la révolution, les pasdarans, bras armé du régime, et les milices civiles des Bassidjs vont prendre un rôle prépondérant dans l'appareil d'État et dans l'économie du pays.

C'est lui qui dirige la justice et a institutionnalisé la torture pour les dizaines de milliers d'opposants aujourd'hui embastillés. Avant de parler de l'Iran, tout observateur sérieux devrait s'imposer de lire les rapports des organisations de défense des droits de l'homme. La sauvagerie des traitements infligés aux détenus iraniens y est décrite par le menu. Ce sont des hommes et des femmes en lambeaux qui sortent des geôles de l'imam. Viol quasi systématique des prisonniers politiques, tabassages, exécutions clandestines: la barbarie à visage théocratique.

Khamenei a bloqué toute normalisation avec les États-Unis. Il a opposé un non catégorique aux offres de dialogue de Barack Obama. Signe de faiblesse. Tout comme le Guide affaiblit aussi la République islamique quand, en juin 2009, il maintient Mahmoud Ahmadinejad à la tête de l'État, volant la victoire au camp réformateur qui avait gagné l'élection présidentielle. Car en s'ingérant dans cette bataille politique, il est sorti de son rôle d'arbitre. Il a porté atteinte à ce qui faisait la force et l'originalité du régime: cette façon subtile de faire coexister différents centres de pouvoir, et qui laissait la possibilité d'une évolution vers plus de démocratie. La République islamique a été longtemps ménagée par les experts occidentaux au nom de la complexité de l'Iran. Avec Ali Khamenei, elle ressemble de plus en plus à une simple dictature militarisée, un régime proche-oriental brutal et corrompu comme tant d'autres.

Son futur n'est plus garanti que par l'efficacité d'un gigantesque appareil de répression et de surveillance policière. Elle est fragile économiquement, pour ne pas dire en déroute; elle est d'autant plus affaiblie politiquement que Khamenei et Ahmadinejad sont aujourd'hui à couteaux tirés; elle est isolée diplomatiquement — et ses menaces sur Ormuz sont peu crédibles. Khamenei ou la faiblesse de la République islamique? — Alain Frachon, Le Monde, 13 janvier 2012.

© Samiye Farid, militante des droits des femmes, libérée sous caution le 28 mars 2010, de la prison Evin (Téhéran) sous caution. Photographies de sa sortie de prison par ses proches et ses amis.