Les Goûts Réunis rassembleront sur le site des recettes de cuisine dont l'Histoire m'a donné la garde. Il était une fois une communauté juive à Tunis, héritière des Berbères pré-chrétiens, mise ensuite au contact de l'Islam, enrichie à partir du XVIIe siècle des apports de la Toscane, Livourne en particulier, et de l'Italie méridionale, Naples et la Sicile. Malte, la Tripolitaine, Salonique, Constantinople et Alexandrie s'en mêlèrent aussi. Touchée par l'extermination, elle subsista, urbaine, avec ses pauvres, ses riches et ses luttes intestines, entreprenante et vigoureuse jusqu'à l'indépendance de la Tunisie qui la dispersa en une dizaine d'années, après des millénaires de présence sur ce sol (1).
Tunis (Sousse et Sfax aussi, pour d'autres raisons à explorer et d'autres résultats) était le lieu d'une rencontre culinaire, une cuisine urbaine et même de capitale, unique dans toute l'Afrique du Nord, fondée sur les apports, emprunts et synthèses, et sur une qualité et une richesse des produits exceptionnelle, exaltée par l'activité d'import-export des très anciens commerçants juifs, toujours amplifiée par la légendaire propension des mères juives à nourrir leurs familles, et une concurrence de voisinage ostentatoire à qui réussirait le mieux les plats de répertoire. Tout cela a disparu en quelques années de la surface du monde, une génération à peine, même si un ou deux piètres mais méritants conservatoires existent encore à Paris. Les tenantes authentiques des traditions se sont retirées, la demande spécifique a succombé sous la simple arithmétique démographique de l'offre et de la demande, qui tend à réduire la cuisine d'Afrique du Nord à des pratiques alimentaires de subsistance, d'origine pauvre et souvent rurale, et surtout d'origine algérienne. L'épouvantable trilogie kebab merguez couscous royal a fait le reste.
Aucun de mes convives d'aujourd'hui n'appartient à cette histoire: ces plats les étonnent et excitent toujours leur curiosité, sinon leur palais. C'est aussi pour leur rendre hommage et les remercier que je rédigerai ces quelques notes.
(1) Réelle ou mythique peu importe au fond, il faut par exemple lire, sur le site très complet et souvent mis à jour de Jacques et Irène Darmon, l'histoire de leur nom.