Mal nommer
un objet, c'est ajouter

au malheur de ce monde.

Albert Camus.


jeudi 14 février 2013

Mon royaume pour un cheval




    Beau billet d'humeur que celui de Sandrine Blanchard dans Le Monde du jeudi 14 février 2013. Il sait remettre les véritables scandales à leur place: scandale de la désertion du langage («Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde», selon notre entête); scandale de l'inflation autour du mot "pureté" pourtant si fallacieuse depuis la limpieza de sangre et les «races pures» de sinistre mémoire, scandale du gaspillage dans un monde trop nourri mais moins bien élevé.

    100% pure embrouille. — Derrière le poids des mots — «100 % pur bœuf» —, le choc du mensonge. Il faudrait toujours se méfier de la redondance en marketing. Pourquoi ce besoin d’ajouter «pur» devant «100 %»? Pour rassurer le chaland bien sûr; pour le convaincre que ses lasagnes prêtes à réchauffer ont une composition «pure». Quelle arnaque! Et quelle folie, ce circuit dantesque à travers l’Europe pour amener la bidoche transformée jusqu’au milieu de la fausse béchamel, de la pseudo sauce tomate et de la pâte molle. Une mixture telle que le goût du cheval (pourtant très différent de celui du bœuf) était noyé. Ni vu ni connu, je t’embrouille.

    Cette histoire de lasagnes au cheval ferait presque sourire si elle ne prenait pas le consommateur pour un imbécile. Naïf consommateur qui prend encore pour argent comptant ce qui est inscrit sur l’emballage. Étonnant consommateur qui sursaute à l’idée d’une taxe sur l’huile de palme susceptible d’augmenter le prix de son Nutella, mais ne s’offusque pas que son pot de pâte à tartiner n’indique jamais «100 % huile de palme». Brave consommateur qui se persuade qu’une barre de Kinder apporte autant de calcium qu’un verre de lait à son gamin.

    La liste des surgelés «pur boeuf» suspectés de contenir du cheval est interminable: lasagnes, moussaka, hachis Parmentier de Findus, mais aussi de Picard, Auchan, Carrefour, Cora, Grand Jury, Système U, Monoprix. Imaginez les tonnes de barquettes qui vont être détruites alors qu’elles ne sont pas impropres à la consommation. Quel gâchis! C’est pourtant bon, le cheval. Quand j’étais gamine, ma mère nous préparait une fois par semaine un steak de cheval. «C’est excellent pour la santé», nous expliquait-elle. Allez savoir, peut-être que les lasagnes bœuf-cheval s’avéreront meilleures, sur le plan nutritionnel, que les «pur bœuf»?

    Faire ses courses est devenu un sport de combat: il faut éviter la tromperie sur la marchandise, éplucher la liste des ingrédients, repérer les allégations mensongères. Les bobos adeptes des Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP) étaient moqués. Désormais, même les plus libéraux des commentateurs vantent les bienfaits des circuits courts pour rapprocher consommateurs et producteurs et savoir ce que l’on mange.

    Hier, j’ai souri en découvrant la nouvelle pub de Shiseido. Sa crème pour le visage «bio-performance» promet qu’«en un mois votre peau paraîtra sept ans plus jeune». Est-ce grâce à du muscle de cheval? Findus se moque du monde, mais il est loin d’être le seul.


    Quant à l'évident scandale du profit et de l'exploitation éhontés de la pauvreté mondiale et de notre écosystème, cet autre article, plus ancien, peut en donner la mesure. Selon Agoravox, un article est paru en février 2011 dans la presse roumaine, signé Cornel Ivanciuc, dont voici de larges extraits, traduits en français:

    Y aurait-il en Roumanie une mafia de la viande, en liens avec des français et des italiens notamment ? — Lorsqu’il était Ministre de l’Agriculture roumaine, Gheorghe Flutur a été contacté par le patron du «complexe de viande de Bordeaux» [Il s'agit de M. Haridornoquy]. En date du 22 mai 2006 ce patron a même écrit au Ministre, précisant que, «suite à ses nombreux voyages en Roumanie, je vous réitère ma proposition d’acheter tous les chevaux malades (atteints par l’AIE, anémie infectieuse équine) soit environ quatorze à quinze mille chevaux».

    [...] L’offre de ce Français (qui répond à un nom basque bien connu du côté de Bayonne) présentait une cotation, soit deux cents euros la tonne, et une proposition de lieu d’abattage, à savoir dans les locaux de la Société Européenne de Sibiu, Strada Ecaterina Teodoroiu nr. 39, société créée en 1994, avec une longue expérience dans le domaine de la commercialisation de viande de bovins, ovins et chevaux.

    Il semble que cette offre ait été suivie d’effet puisqu’une grande quantité de chevaux roumains sont venus compléter la demande de l’Union Européenne de deux millions trois cent mille chevaux par an. Initialement le Ministre avait annoté le courrier en provenance de France d’un «rog analiz» [je demande une analyse], en date du 25 mai 2006. À cette époque la consommation de viande de cheval ne faisait pas l’objet d’une loi européenne. C’est seulement en 2009 que l’Union Européenne a fait ses premiers pas notamment dans le but d’interdire l’abattage des chevaux en vue de la consommation, pour des raisons sanitaires, puisque les médicaments pouvaient pénétrer l’organisme des consommateurs.

    Toutefois le modèle «Flutur» semble avoir très bien fonctionné. Par exemple en avril 2010 étaient comptabilisés sur le territoire roumain sept mille cinq cents chevaux atteints de cette anémie infectieuse, dont quatre cents dans le département de Brasov. Ces derniers ont été sacrifiés dans un abattoir spécialisé et leur viande est partie vers l’Italie pour y préparer des saucissons secs.

    En 2008, la Roumanie a exporté trois mille trois cents tonnes de viande de cheval, dont une grande quantité provenait de ces animaux atteints de l’AIE. En 2009 ce sont quatorze mille chevaux vivants qui ont été de nouveau expédiés vers l’Italie. Un rapport de la Direction pour l’alimentation et les services vétérinaires de la Commission Européenne a mentionné l’échec complet de l’identification des chevaux au moyen de «chips [puces sous-cutanées]», en ce qui concerne la Roumanie. Ces chevaux sont encore et toujours sacrifiés dans des abattoirs illégaux, et les animaux malades continuent à ne pas être marqués donc restent non identifiables.

    2 petits ajouts à ces extraits :

    • Les paysans qui reçoivent la visite des services vétérinaires roumains touchent une indemnité de trois cent cinquante lei par animal réquisitionné (soit quatre-vingt cinq euros), à peine de quoi louer un tracteur pour retourner leur terrain la saison prochaine. Car en Roumanie un terrain agricole non entretenu entraîne automatiquement une amende de l’État. La boucle est bouclée: reste à vérifier si les responsables des services vétérinaires ont reçu des aides de l’Union Européenne pour investir dans les tracteurs agricoles.

    • Sur France 24, l’émission Reporter a programmé en juillet 2011 un reportage sur le futur abattage des chevaux sauvages, en liberté dans le Delta du Danube (une réserve naturelle de plus de trois mille kilomètres carrés enregistrée dans le projet Nature 2000 de l’Union Européenne). Ces chevaux sont plusieurs milliers, ne sont pas malades et, paraît-il, abiment les cultures.

    Nul doute qu’un lien existe entre ce besoin en viande de cheval sur les étals de France et d’Italie et ce massacre programmé. Nul doute que ce sont les mêmes margoulins qui sont derrière. Nul doute que les projets de l’Union Européenne ne sont pas vus de la même manière selon qu’on se trouve à Bruxelles, Bucarest ou Bayonne!

    © Auteur non identifié: Paysage du nord de la Roumanie, tous droits réservés.

lundi 4 février 2013

Comment Israël sera détruit sans besoin d'un seul coup de feu




    Homme d'affaires américain, S. Daniel Abraham est fondateur du Center for Middle East Peace (Washington). Voici vingt ans que, diplomate volontaire et bénévole, il veut contribuer à la fin du conflit israélo-arabe. Ce texte est paru en anglais sous le titre How Israel will be destroyed without one shot being fired le 6 janvier 2013 dans le journal israélien Ha'aretz. La traduction suivante est de Tal Aronzon, pour La Paix Maintenant.

    Comment Israël sera détruit sans besoin d'un seul coup de feu. — Plus encore que les Palestiniens, Israël a besoin que l’État palestinien accède à l’existence. Il ne pourra sans lui se perpétuer en tant qu’État à la fois juif et démocratique. Si Israël ne parvient pas très vite à une solution à deux États avec les Palestiniens, un jour ou l’autre — et plus tôt que tard à ce qu’il semble — l’État juif tel que nous le connaissons cessera d’exister. Et ce sera notre faute (je dis “notre” parce qu’en tant que juif, quoique non israélien, rien ne m’importe plus que la survie d’Israël).

    Sergio Della Pergola, qui détient la chaire d’étude des populations de l’Université hébraïque et fait mondialement autorité en matière de démographie juive et israélienne, a conclu qu’il n’y avait d’ores et déjà plus de majorité juive dans les régions incluant Israël, la rive occidentale du Jourdain et Gaza (aussi longtemps qu’Israël maîtrise l’espace aérien et maritime de Gaza, il en domine toujours le territoire aux yeux du monde).

    Selon ses projections, le taux de natalité des Palestiniens surpasse de loin celui des Juifs, ce qui signifie que la majorité arabe entre la Méditerranée et le Jourdain se fera graduellement plus significative. Israël peut-il survivre en tant qu’État juif alors que les Juifs deviennent minoritaires dans leur propre patrie?

    J’ai soulevé cette question avec quelques-uns des responsables de plus haut niveau au sein du gouvernement israélien en place, et ils ont sans relâche tenté de me convaincre que la rapide croissance de la population palestinienne ne menace Israël en aucune façon. Comme l’un d’entre eux l’a formulé devant moi: «Aucune personne sensée, en Israël, n’annexerait ou n’incorporerait quelque fraction que ce soit de la population palestinienne de la Rive occidentale; ces nombres et projections ne sont donc pas justes.»

    Cette façon de penser est erronée. Comment peut-on imaginer que les Palestiniens vivant sous la férule israélienne continueront, une fois que leur nombre surpassera celui des Juifs israéliens, à tolérer d’être privés de leurs droits civiques? Je dis aux Israéliens qui, entendant cet argument, se mettent sur la défensive et soutiennent que la façon dont Israël traite les Arabes est douce en comparaison de ce qui se fait ailleurs, et que le monde a injustement pris Israël pour cible de ses critiques: «Cet argument est hors de propos.»

    La vraie question n’est pas la discrimination que le monde fait subir à Israël, si odieuse soit-elle. La question est que, quand bien même la communauté internationale cesserait de condamner Israël pour sa mainmise sur la Rive occidentale, cela ne changerait rien au simple fait qu’Israël ne peut indéfiniment continuer à régir une société dont la majorité des habitants ne sont pas citoyens et entretiennent un ressentiment quant à leur inégalité de statut. Plus le nombre des Palestiniens vivant sous la férule d’Israël dépassera celui des Juifs, moins il sera possible de leur dénier des droits civiques pleins et entiers.

    Si Israël ne trouve pas maintenant moyen de conclure un accord, l’avenir se dessine clairement. Un jour viendra où les Palestiniens seront tellement plus nombreux que les Juifs qu’Israël sera forcé de leur donner le droit de vote. Quand il y aura en Israël une majorité de représentants palestiniens au parlement, je subodore que la première loi passée sera le changement du nom de l’État d’Israël en celui de Palestine. Et la seconde constituera l’exact pendant de la loi israélienne du Retour, à ceci près que cette fois ce sont les descendants des premiers réfugiés palestiniens qui auront le droit de venir s’installer en Israël / Palestine. Et Israël tel que le connaissons cessera d’exister.

    Tout ceci peut encore être évité. Abu Mazen et l’Autorité palestinienne veulent négocier avec Israël. Même si de nombreux Israéliens refusent de le reconnaître, après plus de cinquante rencontres avec Abu Mazen je sais que son plaidoyer en faveur d’une solution pacifique est profondément sincère. Ce que veulent les Palestiniens, c’est un État qui leur soit propre aux côtés d’Israël. Et les sondages d’opinion réalisés en Israël pas plus tard que le mois dernier ont répété que 70 à 80 % des Israéliens soutiendraient un accord de paix incluant l’établissement d’un État palestinien démilitarisé aux frontières basées sur les lignes de 1967 [5 juin], avec des échanges de territoires équivalents, ainsi que la réinstallation des réfugiés palestiniens dans le nouvel État palestinien plutôt qu’en Israël. Les échanges de territoires permettront l’annexion de vastes blocs d’implantations, foyer de la grande majorité des Israéliens vivant sur la Rive occidentale et à Jérusalem-Est, lesquels seront intégrés à l’intérieur des nouvelles frontières internationalement reconnues d’Israël — remettant ainsi en question tout besoin de les évacuer.

    Mais si fort que l’Autorité palestinienne désire un État, elle fait aujourd’hui partie du nombre décroissant des Palestiniens qui croient en une solution à deux États. Si Israël ne négocie pas avec l’Autorité palestinienne et ne les aide pas à fonder un État maintenant, les Palestiniens vont bientôt cesser de s’agiter pour en obtenir un. Ils choisiront de s’en passer et d’attendre simplement que leur population croisse. Leur nombre grossira et c’est précisément ce qui fera que l’État juif ne survivra pas. Il sera détruit sans qu’un coup de feu ait été tiré.

    Depuis la Shoah, nous Juifs avons voulu croire que notre survie ne dépendait que de nous, et il n’est pas de Juifs qui veuillent plus le croire que les Israéliens. David Ben-Gourion, le Premier ministre fondateur de l’État, aimait à dire: «Ce qui compte, ce n’est pas ce que les nations disent, mais ce que les Juifs font.» Il est certain qu’Israël doit rester la plus forte puissance militaire au Moyen-Orient, plus forte que tous ses voisins assemblés.

    Mais cela ne suffit pas. Israël a besoin d’autre chose encore. Pour sa propre survie, il lui faut un État de Palestine à ses côtés. Et si nous, Juifs, ne le comprenons pas, et n’agissons pas aujourd’hui en conséquence, peut-être que le peuple juif survivra, mais pas l’État juif.

    © Photographie: Solange Nuizière Abramowicz. Hébron, novembre 2009, tirée de l'album Israël-Palestine.

Lettre 24: Hiver 2012-2013



    — En vue de la parution aux Presses Universitaires de Rennes de notre dernier travail: Frederick Wiseman / Chroniques américaines, le 28 février 2013 dans l'importante collection Le Spectaculaire / Cinémaune page Facebook suivra l'actualité de cette parution. Elle donne déjà tous compléments (filmographie, comment voir les films, essais d'autres auteurs, entretiens, etc.) Nous vous invitons à mentionner votre passage en aimant la page, comme dit Facebook.

    — Ensuite, nous continuons nos films, tous archivés sur Youtube dans Notre cinéma © 202 productions. Ici une troisième sélection pour Ralentir travaux visible en plein écran:

    On peut voir tous les films, passés et à venir dans Notre cinéma © 202 productions

    — Enfin, troisième nouvelle: nous créons un dix-septième dossier thématique: Le Théâtre et après. C'est-à-dire à quoi ça sert? Mais aussi après le théâtre, il y aura quoi? cf infra.

Dossiers thématiques modifiés ce trimestre

Notre delta fertile:
    1. Liber@ Te: 1. Ralentir travaux, suite. — 2. Pierre-Louis Rémy: Ne touchons pas aux repères de la filiation. — 3. Monette Jacquin et Jean-Pierre Winter: Non à un monde sans sexes! — 4. Florence Cassez. Une personne parle (2'37). — 5. Gilles Kepel: L'intenable solitude française au Mali. — 6. Florence Cassez est libre, toute la chronique de ces quatre dernières années. — 7. Pinar Selek, quinze ans de combat. —
    2. Italiana: 1. Il faut lire Ammaniti, une note de Louis Bernardi. —
Notre cinéma:
    6. Les Trains de Lumière, site général:
  12. Pour Frederick Wiseman: Notre ouvrage Frederick Wiseman / Chroniques américaines paraîtra le 28 février 2013 aux Presses Universitaires de Rennes / Le Spectaculaire Cinéma. Demeurent les nouvelles informatives, la documentation, des articles invités et divers entretiens avec le cinéaste. Et notre nouvelle page Facebook sur ce livre, ouverte à vos mentions.    13. Notre cinéma © 202 productions. Tous nos films sur un site dédié.

14.
Penser par images et par sons:

Table complète des diaporamas.
Éveline Lavenu complète régulièrement ses albums d'acryliques et gouaches.

15. Les goûts réunis: Nos recettes de cuisine.

16. Édits et Inédits:

• Plusieurs textes souvent assez longs, publiés ou non, qu'il convient d'imprimer selon les envies, dont on retrouvera la liste en accueil.

17. Le Théâtre et après. C'est-à-dire à quoi ça sert? Mais aussi après le théâtre, il y aura quoi?
• Bertolt Brecht (à propos de —): Visages de Brecht, notre article écrit en 1977.
• Molière: Le Bourgeois Gentilhomme, par Philippe Méziat.
• Marivaux: La Double Inconstance, un texte de 1965 de Richard Monod, à l'occasion de la sortie du coffret La Comédie-Française, aux éditions Montparnasse.
• Philippe Méziat: À La Comédie-Française, avec les éditions Montparnasse.



    © Photographie: Maurice Darmon: Jardin public de Bordeaux, dans Bordeaux.


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