Mal nommer
un objet, c'est ajouter

au malheur de ce monde.

Albert Camus.


jeudi 15 juillet 2010

Israël-Palestine: du trapèze à la cordée



Ceux qui ont vu Film Socialisme de Jean-Luc Godard se souviennent de ce plan de trapèze volant, détourné de Les plages d'Agnès d'Agnès Varda, sur des voix de femmes, en langues hébraïque et arabe. Après les médiatiques provocations maritimes: la turque armée par un groupuscule islamiste radical avec l'aval de son gouvernement, islamiste modéré; la libyenne affrétée par l'immense humaniste Saïf Khadafi, grand libérateur d'infirmières et fils du président poète (en attendant l'iranienne, promise par le dictateur sanguinaire?) — pièges tendus sciemment à des opinions surchauffées et à un désastreux gouvernement israélien aux abois —, le hasard fait qu'une actualité discrète et minime cette fois vient, encore de Suisse, à la rencontre concrète de cette belle et indispensable séquence (1).

L'association Coexistences organise du 2 au 5 août prochains une ascension du Mont-Blanc par un groupe de huit hommes et femmes âgés de vingt-deux à vingt-cinq ans, quatre israéliens et quatre palestiniens, tous étudiants à l’Université de Haïfa. On connaissait le West-Eastern Divan Orchestra, l'une des activités de la fondation espagnole Daniel Barenboïm-Edward Saïd (site en espagnol ou en anglais) qui, après son premier concert à Ramallah en 2005, parvient à jouer partout sauf en Israël et dans les pays arabes. Ou cette école primaire mixte, Oasis de paix, où notre délégation, en voyage d'études en Israël et Palestine, avait été reçue en novembre dernier, le jour même d'une commémoration commune de l'assassinat, criminel entre tous, de Yitzhak Rabin, perpétré le 4 novembre 1995 par un forcené israélien qui, de sa prison, prétend tirer encore gloire de ce tragique tournant de la longue guerre, avec l'appui d'une partie de l'extrême-droite religieuse israélienne.

Cette nouvelle initiative ne s'est évidemment pas improvisée. Depuis 2006, Coexistences est rompue à ces actions: en août 2008, quatre-vingts adolescents ont été hébergés pendant dix jours en Suisse. En octobre de la même année, seize Israéliennes et Palestiniennes, mères de jeunes accueillis en 2006 ont souhaité continuer le dialogue ouvert par leurs enfants. En mars 2009, l’association a fait dialoguer des anciens combattants blessés des deux parties et, en juillet suivant, elle a reçu un nouveau groupe de seize jeunes filles israéliennes et palestiniennes. Quant aux ascensions alpines elles-mêmes, elles font partie désormais d'un programme annuel.

La préparation sur place des jeunes gens a été prise en charge par l'YMCA de Jérusalem, organisation chrétienne fondée dans cette ville en 1924 et présente depuis 1948 à Jérusalem Est et à Jéricho avec les réfugiés, depuis 1989 à Beit Sahour (ville palestinienne de quinze mille habitants à majorité chrétienne) dans un programme de réinsertion des victimes de la guerre, et dans de multiples activités depuis 1992 à Ramallah, siège actuel du gouvernement de Cisjordanie. Leur entraînement physique et mental a commencé sur place en janvier, se poursuivra la semaine prochaine dans les Alpes, avant l'ascension du Mont-Blanc. Dès leur retour, en septembre, ils donneront des suites à leur entreprise, en particulier autour d'un film réalisé par la Télévision Suisse Romande.

Durant toutes ces journées, ces hommes et ces femmes vont partager leurs vies et se confier mutuellement jusqu'à la garde solidaire de leurs simples existences. Le programme s'appelle Breaking the Ice. Cette glace-là au moins leur parle clair. Au contraire de celle des icebergs, qui dans les mers dérobent spectaculairement à la vue les neuf dixièmes de leurs mortels dangers.

PS. Nous signalons la parution en avril 2011 de notre prochain ouvrage:
"Filmer après Auschwitz / La question juive de Jean-Luc Godard"
, aux éditions Le Temps qu'il fait.

1. À propos de cette citation d'image, le cinéaste s'explique ainsi: «... C’est moi qui (...) construis [la métaphore] en déplaçant l’image. Je ne pense pas faire du tort à l’image. Je la trouvais parfaite pour ce que je voulais dire. Si les Palestiniens et les Israéliens montaient un cirque et faisaient un numéro de trapèze ensemble, les choses seraient différentes au Moyen- Orient. Cette image montre pour moi un accord parfait, exactement ce que je voulais exprimer. Alors je prends l’image, puisqu’elle existe.»

En librairie


La question juive de Jean-Luc Godard
Si vous préférez le commander aux éditions Le temps qu'il fait,
cliquer ici.

© Photographie: Maurice Darmon. Yitzhak Rabin à Neve Shalom (1er novembre 2009), tirée de notre diaporama collectif: Les gens de là-bas, novembre 2009.