Mal nommer
un objet, c'est ajouter

au malheur de ce monde.

Albert Camus.


mercredi 17 avril 2013

Bruce Conner: Marilyn Times Five (1973)



    Mercredi 17 avril 2013. — Nous remontons en première page cet article car le lien pour le film qui avait longtemps disparu a été ici remplacé par une nouvelle diffusion sur le net, qui durera ce qu'elle durera. En attendant, on peut voir de nouveau ce bijou.

    13 mars 2012. — Marilyn Monroe est morte le 5 août 1962. Prenons, à notre façon un peu d'avance sur l'avalanche que nous promet le proche cinquantenaire, avec Marilyn Times Five, réalisé en 1973 par l'artiste américain Bruce Conner (1933-2008), maître du found footage, c'est-à-dire l'art de retravailler de vieux bouts de films existants. Évidemment classé parmi les expérimentaux — qui classera les classeurs? —, cette fois le mot va bien à ce film, expérience esthétique et quasiment scientifique sur la perception psychologique et sociale des images. Un titre nous dit que sur sa voix chantant I'm Through with Love, tirée du fameux film de Billy Wilder, Some like it hot (1959), il s'agit de Marilyn. Mais personne n'a jamais pu certifier que le corps nu, inlassablement sous nos yeux, est bien le sien ou, comme on l'a dit, celui du modèle Arline Hunter, souvent utilisé, y compris par Playboy, pour sa gémellité homozygote avec l'actrice. Lorsqu'en 1981, un critique voulut lui soutirer le fin mot de l'affaire, plus finement encore Bruce Conner répondit:

    I tell people while it may or may not have been Marilyn Monroe in the original footage, it's her now. Part of what the film is about is the roles people play, and I think it fits either way. It's her image and her persona. — Propos rapportés par Scott MacDonald dans A critical Cinema: Interviews with Independant Filmmakers, University of California Press, Berkeley, 1988, p. 253.

    Que Marilyn Monroe ait pu être ou non dans le film original, je dis aux gens qu'à présent c'est elle. Une partie de ce qu'est ce film porte sur les rôles que jouent les gens, et je pense que cela correspond de toute façon. C'est son image et sa persona.

    En effet, de ces quelques images scrutées finit par s'élever au-dessus de la policière identité l'être de Marilyn Monroe et, par ce corps en images fragile, s'impose le respect de toute la personne.

    Dans son gracieux essai, L'attrait de la lumière (Yellow Now, mai 2010) Jacques Aumont, sans se préoccuper davantage de qui est qui, dit la vérité:

    L'émouvant poème visuel et sonore de Bruce Conner sur Marilyn Monroe, Marilyn Times Five [...] choisit de granuler l'image, de la blanchir par le contretypage, de transformer l'éclairage du modèle en grains de lumière minuscules qui décomposent l'image et la font floculer. Équilibre parfait entre la matière et l'image, celle de la lumière, celle du corps de la star en herbe: nous ne savons plus si les grains sont de la pellicule, du blanc de la chair. La lumière dévore l'image.

    Que la lumière dévore les images, voilà l'essentiel de tout le cinéma. En redoutant que les images dévorent la lumière, certainement aussi tout ce qu'espèrent nos vies.


    Notre ami Jacques Aumont nous envoie ce complément: À ma connaissance, rien n'en est édité, sans doute en grande partie par refus de Conner lui-même. Son Marilyn Times Five est un des plus beaux, mais Valse Triste ou Take the 5:10 to Dreamland sont aussi de pures merveilles de poésie. Le Centre Pompidou possède A Movie dans ses collections, et la Cinémathèque française, Crossroads.

    J'ajouterai que mon expérience autour de Frederick Wiseman m'a appris que les films du Centre-Pompidou sont très souvent dupliqués pour toutes les médiathèques de province. Ce qui offre l'avantage de pouvoir être empruntées sur prêt au lieu d'être comme souvent visibles sur place.


    © Bruce Conner: Marilyn Times Five, 1973. The Conner Family Trust, San Francisco.