Qui ne s'est pas entendu dire, qui n'est pas convaincu que, à propos des problèmes liés à l'environnement, "des gestes simples peuvent tout changer", pour reprendre le titre d'une conférence itinérante de la MAIF, assureur militant, et de l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie (ADEME)? Si, sur le plan personnel, consommer moins demeure un bon choix, ne nous laissons pas bercer par des chansons pour nantis sur ces problèmes de vie ou de mort. Anne Teyssèdre, consultante en écologie, éthologie et sciences de l'évolution, dresse ci-dessous — dans Le Monde du 1er avril 2008: Environnement: frugalité non ordonnée n'a pas d'effet — une synthèse des travaux de Blake Alcott expliquant qu'une restriction de la consommation individuelle ne peut être bénéfique que si elle est organisée et réglementée au niveau mondial.
Nous risquons de nous retrouver ensevelis sous des prospectives douteuses, ou douteusement vulgarisées (cf. Fausses fenêtres par exemple) ou sous des leçons de morale, qui nous laisseront rapidement bernés dans nos bonnes consciences et surtout démunis. Les projets politiques, les campagnes électorales à tous les niveaux, les débats parlementaires et partisans, la droite libérale comme la gauche de progrès, ne mériteront ces noms ou ces labels que s'ils placent ces urgences au centre de leurs propositions et horizons immédiats. En la matière, le "On ne savait pas" n'est pas recevable. Nous savons que ces questions sont vitales, nous savons que le temps ne travaille pas pour des solutions spontanées, nous entrevoyons les chemins nécessaires, même si nous savons qu'ils ne seront probablement pas suffisants. Tout le reste n'est d'ores et déjà que cyniques alibis.
Environnement: frugalité non ordonnée n'a pas d'effet. — Pour alléger l’impact de l’humanité sur l’environnement, la stratégie de «frugalité», c’est-à-dire de moindre consommation individuelle, peut à première vue sembler efficace. Manger moins de viande, réduire ses déplacements, choisir une voiture économe en énergie ou, mieux, opter pour le train, bref adopter un comportement plus «sobre», devraient contribuer à réduire l’empreinte écologique des hommes sur la Terre... Dans un article à paraître dans Ecological Economics (no 64, 2008, pp. 770-786), l’économiste suisse-américain Blake Alcott montre qu’il n’en est rien sans organisation collective: dans une économie de marché non réglementée, les initiatives environnementales individuelles sont vouées à l’échec.
Depuis plus de trente ans, les principales stratégies prônées pour limiter l’impact de l’humanité sur l’environnement visent à réduire ou modérer l’une de ses trois principales composantes, telles qu’identifiées par Paul Ehrlich et John Holdren en 1974, soit: l’effectif de la population mondiale (P), la consommation individuelle (A, pour affluence en anglais), et l’impact de la technologie sur l’environnement (T).
Dans un autre article, actuellement en ligne sur ScienceDirect, M. Alcott souligne que ces trois facteurs d’impact sont interdépendants: la variation de l’un d’eux favorise celle des deux autres. Ainsi, il est aujourd’hui largement reconnu que la croissance soutenue de la population mondiale depuis cinq mille ans résulte d’une série d’avancées technologiques remarquables, principalement dans le domaine de l’agriculture. En augmentant le rendement agricole par hectare cultivé, chaque progrès technique s’est soldé par une augmentation de la population mondiale, qui est passée de quelques millions d’individus à six milliards en moins de deux mille ans.
De même, les progrès techniques soutenus depuis plusieurs décennies dans les domaines de l’énergie, des transports, de l’information, des communications, etc., ont causé une baisse des prix dans tous ces secteurs, qui a favorisé la diffusion des biens et techniques et augmenté la consommation individuelle moyenne.
Face à ce constat d’interdépendance, M. Alcott affirme qu’une stratégie environnementale visant à limiter un seul des trois facteurs d’impact sans considération pour les deux autres ne peut être efficace. Par exemple, la stratégie de «l’efficacité technologique» (efficiency strategy), qui vise à réduire l’apport d’énergie et de matériaux par unité de production — et donc à réduire l’impact technologique —, ne peut avoir d’effet positif sur l’environnement, puisqu’en diminuant le prix des biens et services produits elle induit une augmentation compensatoire de la consommation. «Cet effet rebond [des gains d’efficacité technique] sur la consommation globale et l’environnement a été analysé dès 1865 par William Stanley Jevons, qui a anticipé l’expansion des mines de charbon en Angleterre et ailleurs», souligne le chercheur.
Il en va de même avec la stratégie du «suffisamment» (sufficiency strategy), ou de frugalité des nantis — puisqu’on ne peut attendre des personnes démunies qu’elles restreignent leur consommation —, décidée de manière individuelle et autonome. En effet, le comportement frugal d’une fraction de la population aisée se traduit au plan économique par une diminution de la demande qui, selon les lois du marché, doit se solder par une baisse des prix qui profitera à d’autres personnes au pouvoir d’achat comparable ou un peu moindre... et par rebonds rétablira le niveau de consommation globale. «Si l’on peut soutenir qu’au plan purement personnel consommer moins est un bon choix, l’effet [d’un tel comportement individuel] sur l’environnement est en revanche très faible ou inexistant — particulièrement face à l’urgence de réduire la consommation mondiale de pétrole», précise M. Ascott.
Pour éviter ces «rebonds» entre les trois grands facteurs d’impact, l’économiste soutient que toute stratégie environnementale doit considérer le système dynamique P-A-T en interaction, et prévenir les effets des variations de chaque composante sur l’ensemble du système. «Puisque les stratégies de l’efficacité et de la frugalité souffrent toutes deux d’un large effet rebond, il semble plus sage de les abandonner en faveur de politiques environnementales qui soit taxent lourdement, soit rationnent les carburants fossiles sur une base nationale», poursuit-il. Et cela non seulement dans les pays riches, mais aussi dans les pays en développement — car ces derniers comportent également une fraction de population aisée, dont la consommation croissante de ressources et d’énergie alourdit l’impact écologique mondial et contribue au réchauffement climatique.
Depuis plus de trente ans, les principales stratégies prônées pour limiter l’impact de l’humanité sur l’environnement visent à réduire ou modérer l’une de ses trois principales composantes, telles qu’identifiées par Paul Ehrlich et John Holdren en 1974, soit: l’effectif de la population mondiale (P), la consommation individuelle (A, pour affluence en anglais), et l’impact de la technologie sur l’environnement (T).
Dans un autre article, actuellement en ligne sur ScienceDirect, M. Alcott souligne que ces trois facteurs d’impact sont interdépendants: la variation de l’un d’eux favorise celle des deux autres. Ainsi, il est aujourd’hui largement reconnu que la croissance soutenue de la population mondiale depuis cinq mille ans résulte d’une série d’avancées technologiques remarquables, principalement dans le domaine de l’agriculture. En augmentant le rendement agricole par hectare cultivé, chaque progrès technique s’est soldé par une augmentation de la population mondiale, qui est passée de quelques millions d’individus à six milliards en moins de deux mille ans.
De même, les progrès techniques soutenus depuis plusieurs décennies dans les domaines de l’énergie, des transports, de l’information, des communications, etc., ont causé une baisse des prix dans tous ces secteurs, qui a favorisé la diffusion des biens et techniques et augmenté la consommation individuelle moyenne.
Face à ce constat d’interdépendance, M. Alcott affirme qu’une stratégie environnementale visant à limiter un seul des trois facteurs d’impact sans considération pour les deux autres ne peut être efficace. Par exemple, la stratégie de «l’efficacité technologique» (efficiency strategy), qui vise à réduire l’apport d’énergie et de matériaux par unité de production — et donc à réduire l’impact technologique —, ne peut avoir d’effet positif sur l’environnement, puisqu’en diminuant le prix des biens et services produits elle induit une augmentation compensatoire de la consommation. «Cet effet rebond [des gains d’efficacité technique] sur la consommation globale et l’environnement a été analysé dès 1865 par William Stanley Jevons, qui a anticipé l’expansion des mines de charbon en Angleterre et ailleurs», souligne le chercheur.
Il en va de même avec la stratégie du «suffisamment» (sufficiency strategy), ou de frugalité des nantis — puisqu’on ne peut attendre des personnes démunies qu’elles restreignent leur consommation —, décidée de manière individuelle et autonome. En effet, le comportement frugal d’une fraction de la population aisée se traduit au plan économique par une diminution de la demande qui, selon les lois du marché, doit se solder par une baisse des prix qui profitera à d’autres personnes au pouvoir d’achat comparable ou un peu moindre... et par rebonds rétablira le niveau de consommation globale. «Si l’on peut soutenir qu’au plan purement personnel consommer moins est un bon choix, l’effet [d’un tel comportement individuel] sur l’environnement est en revanche très faible ou inexistant — particulièrement face à l’urgence de réduire la consommation mondiale de pétrole», précise M. Ascott.
Pour éviter ces «rebonds» entre les trois grands facteurs d’impact, l’économiste soutient que toute stratégie environnementale doit considérer le système dynamique P-A-T en interaction, et prévenir les effets des variations de chaque composante sur l’ensemble du système. «Puisque les stratégies de l’efficacité et de la frugalité souffrent toutes deux d’un large effet rebond, il semble plus sage de les abandonner en faveur de politiques environnementales qui soit taxent lourdement, soit rationnent les carburants fossiles sur une base nationale», poursuit-il. Et cela non seulement dans les pays riches, mais aussi dans les pays en développement — car ces derniers comportent également une fraction de population aisée, dont la consommation croissante de ressources et d’énergie alourdit l’impact écologique mondial et contribue au réchauffement climatique.
© Anne Teyssèdre, consultante en écologie, éthologie et sciences de l'évolution. Le Monde, supplément Économie, 1er avril 2008.
© Elle: Je purifie l'air ambiant avec des plantes détox'. Auteur non identifié, tous droits réservés.