Mal nommer
un objet, c'est ajouter

au malheur de ce monde.

Albert Camus.


dimanche 27 février 2011

Paul Carpita, l'artiste absolu



3. 27 février 2011. — Remontons à la surface notre note de naguère sur Paul Carpita. Sans encore vous proposer un commentaire sur Le Rendez-vous des quais (1953), qu'il faut un peu chercher pour le voir selon toutes coordonnées (réactualisées), on pourra:

Télécharger ici le mémoire de fin d'études de Natacha Bécard: Le «chaînon manquant du cinéma français»: les censures du Rendez-vous des Quais, un film de Paul Carpita, Séminaire de Journalisme, 2001/2002, s. l. 91 pages.
Ce document relate l'histoire mouvementée de ce film, sa réalisation et son contexte, son interdiction et sa redécouverte. Il étudie ensuite les rapports entre l'histoire de ce film et le Parti Communiste Français, la presse française et le monde du cinéma, pour supposer de façon compliquée une autocensure convergente de Paul Carpita lui-même, déchiré par l'humiliation de la censure politique et médiatique, et animé par la volonté de protéger ses camarades, qui l'aurait amené à concourir au mythe du film détruit.

Écouter Paul Carpita annoncer le 28 février 1990 au Journal télévisé (France 3) la première diffusion du film dans la région au Mazarin à Aix-en-Provence, après trente-cinq ans de censure.

Lire ces quelques propos enfin de Paul Carpita, tirés d'un intéressant entretien avec Bruno Le Dantec en juillet 2008:
  • Pendant trente ans, j’ai cru que Le Rendez-vous était définitivement perdu, jusqu’à ce que Jack Lang, mis au défi par des dockers de Port-de-Bouc, nomme une commission d’investigation. Non sans avoir protesté: «Mais enfin, ça fait vingt ans qu’il n’y a plus de censure, dans ce pays!» Ils ont fini par le retrouver, sous scellés, dans les archives de Bois-d’Arcy. C’était la copie saisie par la police. Il y a eu aussi les négatifs, précieux pour nous, mis de côté par les communistes… On me dit que c’est volontaire… Il y a un peu de vrai là-dedans. On a étouffé ce film. Il y a eu “les événements”, Guy Mollet reçoit les pleins pouvoirs pour l’Algérie française. Et nous, pour être avec les socialistes, on a dit oui, amen. “Mais alors, si ce film sort, ça va nous gêner”, ont dû penser certains. Quand on a retrouvé ces négatifs, j’avais la colère, je suis allé demander des comptes. Mais au comité central, je suis tombé sur des dirigeants trop jeunes pour avoir une responsabilité là-dedans, j’ai laissé tomber. D’autant que certains m’ont beaucoup aidé par la suite et que les journalistes voulaient instrumentaliser ça pour discréditer tous les communistes. Mais bon, assez bavardé, viens, je vais te montrer mon antre. C’est là, derrière la maison, un cafoutche où je monte mes films.
On trouvera également sur cette page de nombreux souvenirs racontés par Paul Carpita lui-même.

2. 25 octobre 2009. Nous remontons ce petit texte en tête du site: Paul Carpita est mort hier. Notre projet demeure plus que jamais présent de lui consacrer un dossier complet. Il propose déjà sa filmographie complète. Rappelons que la meilleure source demeurera longtemps le beau site construit par son fils.
1. 22 mai 2009. — Dès la naissance de Ralentir Travaux, nous indiquions en colonne latérale, dans Cinéma (ici) et ailleurs, l'existence du site filial sur Paul Carpita. Dès ce moment, nous nous promettions d'y revenir bientôt, tant l'œuvre de ce cinéaste est considérable, même si, durant des décennies, qui durent encore, aucun étudiant en cinéma n'en a jamais entendu parler par aucun de ses professeurs. Nous en avons fait souvent l'expérience ces dernières années avec les jeunes gens de la Fémis (École Nationale Supérieure des Métiers de l'Image et du Son, à Paris). Et même si, test suprême mais désormais classique, il n'ouvre aucune occurrence dans les deux gros livres réunissant l'ensemble des écrits de Jean-Luc Godard, qui couvre aussi largement les temps de l'IDHEC et de la légendaire Cinémathèque (1). Petit sondage trop rapide, j'en conviens, mais nous prolongerons l'enquête auprès des écrits de tous nos papes et sous-papes de la cinéphilie française.

Mais voilà: au-delà de ce qui pourrait être la mythologie d'un film interdit puis perdu, qui peupla l'imaginaire de notre adolescence marseillaise, un tantinet militante il est vrai, Le Rendez-vous des quais (1950-1955) relie la tradition populaire de Toni de Jean Renoir à toute la modernité formelle qui allait éclater en 1960 dans À bout de souffle, plusieurs années après donc, et qui est tout sauf un coup de tonnerre dans un ciel serein. Nous reviendrons en détail sur Le Rendez-vous des quais et sur le reste: c'est notre projet, après celle entreprise sur John Cassavetes, d'explorer systématiquement l'ensemble de cette œuvre. Mais si beaucoup ont vu plusieurs films de John Cassavetes, rares sont malheureusement ceux pour qui Paul Carpita est plus qu'un nom. Or, la brise légère des parutions semble élever un peu le destin public de cet auteur et, pour notre bonheur, le servir enfin:

• Un coffret double en 2008 chez Copsi Vidéo production, Des lapins dans la tête, regroupe l'ensemble de ses courts et moyens métrages, et complète ainsi toute sa filmographie disponible en deux autres albums chez Doriane films: Le Rendez-vous des quais donc, Les sables mouvants (1996), et Marche et rêve! ou Les homards de l'utopie, (2002). À part quelques films de commande et les actualités militantes qu'il tourna avec le groupe Cinépax, on peut donc voir très facilement chez soi toute l'œuvre de ce cinéaste.

Paul Carpita cinéaste franc-tireur vient de sortir aux éditions L'Échappée, 2009: un long entretien du cinéaste avec Pascal Tessaud, brièvement et surtout rapidement préfacé par Ken Loach, qui sollicite beaucoup le sens des films de Paul Carpita vers ses propres convictions politiques — il m'étonnerait beaucoup que notre artiste, homme de toutes les fidélités, souscrive sans réserves au contenu de ces lignes, mais il se situe trop ailleurs pour s'alarmer de ce genre de récupérations —, au moins son importance ne lui aura pas échappé.

Dans ce genre d'entreprise, périlleux entre tous, l'important est de savoir faire parler vers le haut cet homme trop modeste, spontanément plus près des émotions que des mots, homme d'images et d'histoires plus que de discours théoriques, mais qui — les bonus des DVD le montrent — parle comme personne du génie du cinéma, pour peu qu'on l'y invite et qu'on l'y installe. L'édition est foutraque, faite sans soin, mais c'est l'unique présence en librairie aujourd'hui sur cet homme. À ma connaissance, seul un livre de Claude Martino, Le Rendez-vous des quais: Un film de Paul Carpita et ses histoires, avait paru en 1996 aux éditions de Haute-Provence dans la collection «Le cinéma d'ici», mais il est épuisé depuis longtemps.

De ces œuvres dont la sincérité, la profondeur et la révolution formelle sautent aux yeux, aux oreilles, au cœur et à l'entendement. Un artiste.

1. Pascal Tessaud met une note dans son entretien, où il signale (note 52) la présence d'images du Rendez-vous des Quais dans Histoire(s) du Cinéma. Dans une telle somme, on peut toujours s'égarer mais ni moi, ni les tables de Jean-Luc Godard lui-même, ni la partition éditée par Céline Scemama, ne relèvent de telles citations. En revanche, c'est tout de même l'occasion pour le conteur Paul Carpita de nous rapporter une belle anecdote: «C'était en mai 1968, j'étais à Cannes. [...] Le ton montait et ça a dégénéré en bagarre. Alors, j'ai vu Godard! Je me suis mis devant pour ne pas qu'il prenne des coups et je me suis morflé un coup moi, terrible! Voilà les rapports que j'ai eus avec la Nouvelle Vague! Je ne voulais pas qu'on leur tape dessus! (rires). Je ne suis pas bagarreur mais j'étais devant pour m'interposer et je me suis pris un coup de poing dans la gueule pour protéger Godard (rires)! Et il ne le sait pas.»

En librairie



La question juive de Jean-Luc Godard
Pour John Cassavetes
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Photogramme: © Paul Carpita: Marseille sans soleil, 1963.