Mal nommer
un objet, c'est ajouter

au malheur de ce monde.

Albert Camus.


mardi 14 décembre 2010

La chambre claire de Rospil



Un blog russe existe, Rospil.info, animé par un certain Alexeï Navalny, avocat de trente-quatre ans, et lauréat pour quelques jours encore d'une bourse de six mois à Yale University. De nombreux journaux et des speakers de radio ou de télévision reprennent un article de Marie Jego, publié dans Le Monde du 10 décembre 2010 La Russie a son Wikileaks à elle, seule source disponible en français pour l'instant sur ce site, contrairement à l'avalanche que provoque celui de Julian Assange.

Paresse ou manie de la formule accrocheuse au sacrifice de la vérité? Tous ces médias commencent par le comparer à Wikileaks alors que, sous son titre désastreux dont on sait qu'ils sont en général l'apanage des comités de rédaction plutôt que de la seule conscience morale des auteurs, l'excellent article de Marie Jego dit et surtout montre qu'il en est l'exact contraire. Rospil.info ne s'occupe pas de diplomatie, ni même de politique, mais d'exercice du pouvoir en Russie, trois niveaux et notions qu'il conviendrait de soigneusement distinguer lorsqu'on veut réfléchir sur Wikileaks. Il n'a accès à aucun secret, ou note confidentielle mais il étudie soigneusement les contrats, les budgets des grands chantiers, les rapports de l'équivalent de la Cour des Comptes pour ne publier que des faits avérés dans la sphère politique et économique, corruption, détournements de l'argent public, ce que les citoyens russes nomment rospil et qu'en bonne démocratie, ils devraient normalement connaître. Enfin, il accompagne toutes ses révélations de plaintes devant les tribunaux ou de demandes d'enquêtes. Toute comparaison est donc fallacieuse et méprisante à l'égard de ce vrai combat politique pour l'information.

D'autant que les six mois universitaires se terminent et que le jeune avocat rentre bientôt dans son pays. Il dit qu'il n'a pas peur et qu'il le fera. Quand, en octobre dernier, Alexeï Navalny, largement relayé par les journaux russes, a révélé les détournements opérés par le groupe public Transneft, ce monopole de construction des oléoducs a aussitôt reçu les félicitations du premier ministre Vladimir Poutine «pour le bon travail accompli». C'est dans ce pays, son pays qu'Alexeï Navalny revient. Au pays d'Anna Politkovskaïa.

© Photographie: Jimmy: 11 octobre 2006, à la mémoire d'Anna Politkovskaïa.