Que certains dirigeants politiques aient apparemment pris de bonnes décisions au bon moment, que l'Europe — où en serions-nous aujourd'hui avec nos anciennes monnaies nationales? — se soit présentée comme une entité vivante depuis presque une semaine déjà! ne doit pas nous rendre crédules devant des mensonges éhontés. Non, les pouvoirs politiques ne viennent pas, dans leur haute sagesse, au secours d'une machine financière devenue folle, mais ils sont responsables tout autant.
Les marchés financiers et leurs acteurs sont dans le culte du court terme? Certes, mais les sondages quotidiens de popularité qui gouvernent nos gouvernants les installent-ils depuis ces deux décennies de guerre civile mondiale latente ou ouverte dans une autre dimension? La cupidité et l'égoïsme individualiste seraient-ils le privilège des affairistes quand, au cours de ces mêmes années, la conquête et le maintien au pouvoir de nos responsables, au pouvoir comme dans l'opposition, sont seulement, ou en tout cas d'abord, des batailles d'egos et d'affrontements personnels, travestis d'alibis moralisateurs dont nous dispensent au moins les spéculateurs, à ce point qu'ils n'intéressent à peu près plus personne? Pour un épisode de lucidité, imposé par l'urgence spectaculaire de la déflagration, et dont rien ne dit qu'il sera suivi d'une véritable volonté de reconstruction rationnelle du politique et de l'économique (tout reste à dire et à faire là-dessus), oubliera-t-on de si tôt les appels évangélistes issus de socialistes empêtrés dans leurs querelles; le vide sidéral des discours et des "petites phrases" de perrons, de congrès, de séminaires et universités d'été, des candidats et des vainqueurs aux élections les plus hautes (1); et là, sous nos yeux, l'ahurissante déroute intellectuelle du Président sortant des États-Unis durant tout ce blitz planétaire? Tout ce qui est aujourd'hui reproché aux traders responsables de tous les maux est exactement ce dont souffre notre vie politique.
Au même moment, notre partie du monde se retrouve par chance à l'aube propice d'une élection américaine qui, sans doute au corps défendant (2) de son vainqueur (mais on reconnaît les grands hommes à leur capacité d'aimer et d'épouser l'Histoire, au point de la servir), bouleversera forcément l'échiquier mondial.
Le coup d'après: reconstruction politique, économique, idéologique, intellectuelle et morale, dans le respect scrupuleux du droit et des valeurs démocratiques, car la peur et le désarroi pourraient bien nous laisser admettre des régimes d'exception présentés comme un mal nécessaire, alors que le droit et la démocratie ont été jusqu'ici des facteurs de régulation du capitalisme et que leur défaut a enterré et le communisme et les soviets.
Si nous ne savons pas aujourd'hui saisir ce moment pour méditer le coup d'après, alors nous ne serions vraiment pas loin de l'échec et mat.
— 1. Nous écrivions par exemple à la veille de notre dernière élection présidentielle, en mars 2008: ... l'absence de tout débat sérieux et prioritaire de ces questions dans la campagne présidentielle (même vide dans celle des législatives d'ailleurs), préoccupée seulement de style et d'affirmations individuelles — du "Tout sauf" au "Si c'est une femme", mais pourquoi nous mépriser ainsi? —, ou d'irréelles propositions reconnues aussitôt après, explicitement ou au moins à demi-mot, comme démagogiques par les deux ex-candidats, nous ont interdit l'expression du moindre vote intelligent, pour nous contraindre à assister à des calculs à courte vue: "Entre les deux tours", voilà toute la portée permise ou concédée à notre regard? Alors qu'il s'agit de cinq années cruciales pour nous et pour le reste du monde...
— 2. Voir à ce propos: Monsieur Obama encore un effort, du 27 juillet 2008, qui introduit à quelques extraits du discours que le candidat prononça alors à Berlin.
Image: © Times square, tiré de Manhattania 2007, Maurice Darmon, 2007. Et autres Images.