Tout avait commencé à Marseille en 1962, autour de l'aventure, impensable aujourd'hui, du Théâtre Quotidien de Marseille où nous découvrîmes Armand Gatti, Roger Planchon et le premier Antoine Vitez, et d'inoubliables soirées au festival d'Avignon, Jean Vilar et La Guerre de Troie n'aura pas lieu; en 1966 les chorales Troyennes de Michael Cacoyannis, ou la mise en scène de George Dandin par Roger Planchon avec le jeune Michel Galabru. Ou à Paris, d'Antoine Bourseiller Le Métro fantôme et L'Esclave de LeRoi Jones; au Palais de Chaillot le sidérant Chant Public devant deux chaises électriques d'Armand Gatti ou, vraiment révolutionnaire, Électre d'Antoine Vitez. Tout avait pris corps dans une militance théâtrale, à une époque où, à Nancy, le jeune Jack Lang avait créé et dirigeait le Festival Mondial du Théâtre Universitaire. Le mouvement dit du théâtre populaire, qui interroge aujourd'hui encore les plus grands hommes et femmes de théâtre et de culture (1), ensoleilla notre jeunesse niçoise. Jusqu'à ces jours terribles où — "Vilar, Béjart, Salazar!" — d'ignorants salauds assassinèrent Jean Vilar, ce qui eut au moins le mérite intime, bien pauvre compensation, de me contraindre aussitôt, le nez dans 1968, à trouver d'autres sens à l'événement historique que, à Aix-en-Provence et retour à Marseille, nous étions tous en train de passionnément vivre. Au-delà des ces éclats, l'histoire profonde d'une génération.
Durant toutes ces années, même si nous connaissions déjà ses ruses et si nous revendiquions avec lui nombre de ses ambiguïtés comme la dialectique essence de la vie, Bertolt Brecht fut pour nous le repère principal pour la pratique théâtrale, que nous confondions — allègrement — avec la politique, la philosophie, la métaphysique et la morale. Nous montions des spectacles certes, mais nous écrivions, nous nous justifiions, nous nous clarifiions, nous nous expliquions beaucoup sur nos intentions, souvent à défaut de savoir convenablement, au-delà des mots et des manifestes, les constituer en images théâtrales, les rendre plus vivantes, enfin sensibles.
J'ai retrouvé ces jours-ci Jeu de patience, un texte écrit en novembre 1977 et longtemps cru perdu. Son sujet: Bertolt Brecht exerçait un contrôle rigoureux des images qui circulaient de lui, photographies ou dessins. On y a vu tyrannie, calcul, vanité de sa part, mais il m'avait semblé à l'époque qu'il fallait interroger ses images à la lumière de ses principes et réalités dramaturgiques. Mettant en ligne cette esquisse pour les plus patients justement, j'ai l'impression que, plus de trente ans après, nos évolutions sociales et l'usage de l'internet ont rendu cruciale cette question que nous abordions alors seulement en jouant ou en allant au cinéma: les images sont de la pensée.
1. Voir par exemple les ouvrages de Chantal Meyer-Plantureux, et, en particulier: Théâtre populaire, enjeux politiques — De Jaurès à Malraux, éditions Complexe, 2006.
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