Mal nommer
un objet, c'est ajouter

au malheur de ce monde.

Albert Camus.


mardi 23 novembre 2010

New York: images de novembre




Notre album tente d'en témoigner, novembre est la plus belle saison à Manhattan. Il n'y fait pas encore vraiment froid et, même s'il se couche vers quatre heures et demie dans de brefs et rutilants crépuscules, le soleil abondant devient l'ami apprécié des marcheurs: on the sunny side of the street, on connaît bien et on comprend mieux la chanson.

Raison de plus pour se perdre dès le matin dans la palette éclatante de Central Park, érables de tous les rouges et lumineux ginkgos, chaque jour plus vibrants entre Jackson Pollock et Simon Hantaï, jusqu'à la brusque tempête qui couvre alors toute la terre d'ors pour transformer le granit indien en sombres archipels, et plus familiers que jamais les écureuils en quête de leurs glands, le geai bleu et le pourpre cardinal pressés de jouir encore de leurs royaumes avant l'hiver.

Les vitrines sont emportées dans le carrousel des fêtes: Halloween, Marathon, Jour des Vétérans, Thanksgiving et bientôt Noël, d'admirables insolentes arpentent les allées de Bergdorf Goodman, mais — Edward Hopper — des ombres plus pauvres peuplent les rues, les bus et les métros, où chaque train vit sa foucade: ira-t-il là à destination, s'arrêtera-t-il à la bonne station, car dès qu'un local est en retard, voilà qu'il se transforme soudain en express et d'autres après lui jusqu'à retrouver l'horaire?

Et cette fanfare dirigée aujourd'hui par le pasteur Elder Edward Babb, le McColloughs Sons of Thunder: sept trombones, deux batteries — l'un des deux percussionnistes a quatre-vingt onze ans —, une trompette et un soubassophone: le pasteur joue de la coulisse comme il prêche, rugissant, enfonçant à pieds joints le plancher de la chapelle d'étage, insistant, mais théâtral et imperturbablement pédagogue, il offre à tout son monde le tour du monde — d'Essaouira à la Suède — et la musique qu'il sait sans la connaître, avec toute la verdeur de ses soixante-dix ans sans doute. Et tous ces jeunes gens, parfois des gamins, l'entourent et le serrent de près, comme sans doute en aura rêvé Herbert Von Karajan: il aura beau avoir fermé les yeux, jamais il n'aura obtenu cette fervente intimité, cette bouillonnante fusion, cette chair musclée et sanguine, cette entente d'amour entre les airs, les récitatifs, les appels et les réponses, la montante hypnose du shout band.

Quant au chantier du World Trade Center, la carcasse métallique de l'an dernier est devenue une tour, et déjà commence à monter la seconde. Nuit et jour le grand cercle se peuple et les horizons se resserrent. De cette construction qui n'a pu commencer qu'en 2007, nos cinq albums veulent continuer à en raconter la vie.



Septembre 2007.


Juin 2009.


Octobre 2009.


© Photographies: Maurice Darmon: toutes les images.