Mal nommer
un objet, c'est ajouter

au malheur de ce monde.

Albert Camus.


lundi 1 août 2011

Syrie: permis de tuer




Voilà plus de cinq mois que, semaine après semaine et à présent jour après jour, le tyran syrien massacre un peuple méthodiquement, avec son armée, ses chars, ses milices et ses hommes de main, et que, ce dimanche, il a fait tirer à la mitrailleuse, laissant à terre cent morts en quelques heures. Plus de deux mille personnes ont déjà été tuées, et dix mille au moins emprisonnées ou «disparues», comme les dictatures nous ont appris à nommer ceux dont on ne retrouve jamais les corps, forcément torturés. Le pays est fermé, pourchasse ou élimine les observateurs gênants, brouille l'internet. Mais, même s'ils sont rares et surtout peu relayés, les témoignages vont tous dans le même sens: la terreur est partout.

Alors, bien entendu, la France et l'Europe ne vont certainement pas jouer les redresseurs de torts militaires, au risque d'ailleurs de ne pas mieux savoir commencer une guerre que la finir. D'autant qu'il faudrait cette fois se heurter frontalement au soutien que la Russie ou la Chine apportent à la répression syrienne, au sein de l'ONU sur le plan diplomatique, et par des équipements militaires sur le terrain.

Et l'Iran, soigneusement lui aussi à l'abri de toute critique ou condamnation réelle, alors que, depuis des années, la preuve est faite de l'imposture. Car si la Syrie tient debout, c'est encore et d'abord par le soutien économique que le régime de l'usurpateur sanguinaire lui apporte, soucieux de conserver son entrée décisive pour le conflit du Moyen-Orient, et son emprise sur le Liban et Gaza, via le Hezbollah et le Hamas. Si la dictature de Damas s'effondrait, ce que veut manifestement tout le peuple aux quatre coins de Syrie, la situation changerait du tout au tout: avec l'éviction de l'influence iranienne, l'événement ne pourrait que faire évoluer positivement la Palestine et Israël vers la recherche de la paix, et participerait puissamment à la diffusion de l'idée démocratique dans la région, prise dans la double menace militaire et islamiste, dont rien ne dit d'ailleurs qu'elles ne peuvent pas finalement se conjuguer.

Plus profondément, au-delà des diverses sanctions économiques prises par l'Europe et surtout par les États-Unis qui, par les déclarations du président Obama et d'Hillary Clinton, critiquent clairement la répression et, au moins verbalement, mettent en cause la légitimité du pouvoir actuel, les soutiens effectifs à l'opposition syrienne, organisationnels, politiques et économiques, sont à peu près inexistants. Ce qui laisse les mains libres aux tueurs.

Ce vendredi 29 juillet, les démocrates syriens ont conduit leur dernière manifestation sous ce mot d'ordre fédérateur: «Votre silence nous tue» à l'adresse des Syriens qui ne les ont pas encore rejoints, des autres peuples et dirigeants arabes, mais aussi des pays d'Europe et aux démocraties de par le monde, dont ils revendiquent à leur façon la parenté: «Où êtes-vous, défenseurs de la liberté?»

En effet — sans revenir sur certains timoniers parisiens, nostalgiques de leurs gardes rouges, s'enivrant du mouvement populaire égyptien de la place Tahrir au point d'éviter soigneusement d'évoquer la présence alors décisive de l'armée, avec tout ce qui s'ensuit, ni sur tous ces utilisateurs de formules magiques: «révolution», «printemps arabe», dont chaque jour confirme leur fonction incantatoire et mystificatrice, contre-productive car, faute de prendre la mesure à temps de la complexité des forces en lutte, elles n'alimenteront qu'une déception à la hauteur des illusions, pour finir démobilisatrice — où sont nos habituels défenseurs des droits de l'homme? Où est la gauche française empêtrée dans sa guerre de clans dans un désert d'idées, en particulier sur le plan international? Où sont les organisations, associations, toujours promptes à instrumentaliser le conflit du Moyen-Orient et la cause palestinienne? Où sont les indignés? À part ceux qui osent voir dans les événements syriens un complot israélien — c'est dire où peuvent mener les paranoïas non critiques —, où sont-ils, où sont leurs drapeaux, leurs boycotts, leurs brochures à grande vitesse en dix-huit langues et en millions d'exemplaires, leurs défilés, leurs pétitions? En réserve sûre, pour des jours meilleurs.

© Photographie: agence Reuters.