Ce 3 septembre, est mort Charles-Robert Ageron. Dans Le Monde du 6 septembre 2008, Thomas Wieder l'évoque de façon précise et documentée.
Abderrahmane Bouchène, éditeur d'abord à Alger à partir de 1986, s'est exilé et installé en France depuis 1994. Il s'était déjà signalé par l'édition des Opera minora d'un autre de nos meilleurs connaisseurs du Maghreb, Jacques Berque (tout est à redécouvrir de cet homme, tant il est difficile de trouver et de lire l'ensemble de son œuvre aujourd'hui..., mais il existe un bon article sur lui dans Périphéries). Ce même éditeur a su aussi nous offrir en cinq volumes la quasi-totalité de l'œuvre de Charles-Robert Ageron, consacrée à l'Algérie coloniale et post-coloniale:
— Sa thèse complémentaire jusqu'ici inédite, Le gouvernement du général Berthezène à Alger en 1831, où il évoque la figure de ce général qui sut, dès cette époque, diagnostiquer les incompréhensions de la politique coloniale de notre pays en Algérie, et fut limogé en décembre 1831.
— De l'Algérie française à l'Algérie algérienne et Genèse de l'Algérie algérienne, où l'historien rassemble des articles sur l'histoire, politique, économique, sociale et démographique de l'Algérie depuis l'époque coloniale jusqu'aux accords d'Évian, avec une présentation où Gilbert Meynier reconnait à quel point la passion partisane l'avait aveuglé sur les immenses qualités ce cet historien. C'est d'ailleurs un peu la même réévaluation à laquelle se livre Benjamin Stora dans le livre paru ces jours-ci, Les Guerres sans fin. Il y confirme ce qu'il avait déjà écrit dans Le Nouvel Observateur (6/12 octobre 2005): «Lorsque j'ai rencontré Charles-Robert Ageron en 1975, au moment où, jeune étudiant, je cherchais un directeur de thèse, ce professeur était bien isolé dans le monde universitaire. Il était alors sous le feu croisé des partisans d'un tiers-mondisme pur et dur qui lui reprochaient de ne pas suffisamment "s'engager" idéologiquement, et des partisans de "l'Algérie française" qui ne lui pardonnaient pas ses positions «libérales» pendant le conflit algérien. L'historien n'avait pas alors la possibilité de diriger un DEA, et nous étions, Guy Pervillé et moi-même, les seuls étudiants en thèse sous sa direction. [...] Quand j'ai soutenu grâce à lui ma thèse d'État en 1991 sur l'immigration algérienne en France, Ageron avait pris sa retraite dans le silence du monde universitaire. On a la chance de prendre maintenant connaissance de l'ensemble de l'œuvre de ce grand historien qui a ouvert les chantiers essentiels de l'histoire de l'Algérie contemporaine, et montré qu'il est possible de parler de ce pays autrement qu'aveuglé par la passion.»
— Les Algériens musulmans et la France (1871-1919), la thèse principale de l'historien, également en deux volumes, dont la réédition s'imposait, à défaut d'être vraiment attendue par le microcosme des historiens. C'est que, comme personne et contre vents et marées, Charles-Robert Ageron montra que l'Histoire est d'abord recherche et respect des faits et des dates, importance des archives écrites, soucis dont bien des historiens s'émancipent parfois assez facilement en reprenant, mais avec un autre son sinon un autre sens, sa revendication d'historien "positiviste", ce qui chez Charles-Robert Ageron qualifiait ses scrupules et son rejet courtois mais catégorique de l'anachronisme militant ou du préconçu idéologique. Et en la matière, le terrain a toujours été miné et l'est encore.
Sans exhaustivité, ont été éditées en publications séparées et semblent encore disponibles: L'Algérie des Français (Seuil, 1993); La décolonisation française (Armand Colin, 1994); La guerre d'Algérie et les Algériens, 1954-1962 (Armand Colin, 1997); Histoire de l'Algérie contemporaine (1830-1968) (Que sais-je? 1999, où il fait un digne pendant à Sociologie de l'Algérie de Pierre Bourdieu).
Image: plateau d'un jeu de société, © inconnu, tous droits réservés.