Alors nous voilà tous ironiques, cyniques ou abattus: L'Europe a eu beau avoir été exemplaire à la conférence de Copenhague, s'être présentée d'une seule voix et cohérente pour dire sa volonté positive dans ce domaine, les États-Unis, la Chine et l'Inde, ces grands Satan, l'ont sabotée par la défense de leurs intérêts égoïstes et particuliers. L'ONU n'aura décidément pas été à la hauteur de ses responsabilités et aura montré qu'elle n'est sans doute même pas le cadre approprié à de telles réunions. Et il est profondément vrai que de sordides trublions, uniquement attirés par le pouvoir qu'ils croient tirer de leur usage de l'internet, ont prétendu tourner en ridicule le travail sérieux de constats et de synthèses mené par le GIEC, seul participant à parler en principe au nom de la Terre entière, au-dessus de la mêlée.
Sans parler des silences tonitruants qui auront troué ses débats: la catastrophe déjà présente pour certains pays, l'avenir sombre des pays pauvres, la question des océans passée à la trappe, alors qu'ils sont les premiers puits de carbone, loin devant les forêts, qui furent l'obsession des cent quatre-vingt-douze (ou treize) États.
Soit. Une fois que des experts facétieux, histoire d'en rajouter un peu, auront chiffré le coût carbone de cette conférence, préparée depuis des années par des centaines d'aller-retour en avion, la réception et l'entretien de quinze mille personnes pendant quinze jours au moins, et maintenant que la distribution des punitions et des bons points a eu lieu, qu'on a bien répété sur tous les tons, du ricanement à la morbide jouissance, que Copenhague a été un échec, on fait quoi?
Et d'abord, c'eût été quoi, exactement, la réussite de Copenhague? Un camouflage des divergences, un hypocrite gommage des conflits d'intérêts, une bonne conscience rachetée à coups d'engagements qui, on l'a souvent vu avec ceux de Rio puis de Kyoto, ou plus près de chez nous avec la conférence de Grenelle de l'environnement, sont loin d'être tenus ou simplement contraignants. Sitôt le vertueux consensus et le lâche soulagement obtenus autour d'un chiffre magique, chaque puissance n'en aurait aussitôt fait qu'à sa tête (selon l'expression consacrée), et plus discrètement inventé tout à son aise des dérogations. C'eût été finalement une opération de communication médiatique bien plus désespérante que l'actuel constat, qui a au moins le mérite de refléter les rapports de force, d'être plus honnêtement près des réalités, et de nous imposer de ne plus nous bercer d'illusions.
Rio, Kyoto, Copenhague, et bientôt Mexico. Les débats de Copenhague ont souligné l'urgence en matière de réduction du carbone, ses silences sur les océans nous ont questionnés, son constat de conflits d'intérêts en matière de développement et de croissance ont obligé à lier la question du réchauffement climatique à des menaces immédiates et scientifiquement avérées, qui ne font pourtant l'objet d'aucune semblable conférence: la faim dans le monde, la raréfaction des eaux potables et l'empoisonnement des sols, la gestion des déchets par exemple. Copenhague nous a fourré les clés de l'appartement entre les mains en nous disant: «Ici et de cette façon, sauf à camoufler les problèmes, on ne peut pas faire mieux. Si vous n'êtes pas contents, il ne vous reste plus qu'à vous confronter, électoralement et ailleurs, sur vos places, dans vos rues, sur l'Internet, à vos dirigeants et à vos représentants d'oppositions, politiques, syndicaux ou associatifs, nationaux et locaux, au moins partout où dans le monde vous pouvez exercer ce poids. Il faudra bien du même coup cesser ce petit jeu de la-faute-à-qui pour se confronter à soi-même sur ses comportements privés, sociaux, professionnels, culturels, moraux, civiques et politiques». Échec n'est donc pas le mot.
© Photographie: Maurice Darmon, Tel Aviv, novembre 2009, image tirée de notre diaporama collectif: Gens de là-bas. Voir aussi nos Images.