Mal nommer
un objet, c'est ajouter

au malheur de ce monde.

Albert Camus.


lundi 16 février 2009

Pour en finir avec Pierre Péan



Nous aurions vraiment aimé en rester là avec Pierre Péan. Mais puisque lui et ses pareils veulent réduire le problème de ce Monde selon K. à la présence ou à l'absence d'un mot malheureux ("cosmopolitisme"), et que nous savons leur mal plus profond, donnons à lire ce qu'il a écrit, p. 44 de son célèbre Noires fureurs, blancs menteurs: Rwanda, 1990-1994 (Fayard / Mille et une nuits, 2005):

«Les rebelles Tutsi ont (...) réussi jusqu’à maintenant à falsifier complètement la réalité rwandaise, à attribuer à d’autres leurs propres crimes et actes de terrorisme, à diaboliser leurs ennemis. Enquêter au Rwanda relève du pari impossible tant le mensonge et la dissimulation ont été élevés par les vainqueurs au rang des arts majeurs (…) Kagamé et ses collaborateurs Tutsi ont, jusqu’à présent, réussi à ce que l’opinion publique internationale prenne des vessies pour des lanternes. (…) Cette culture du mensonge s’est particulièrement développée dans la diaspora Tutsi. Pour revenir “l’an prochain à Kigali”, celle-ci a pratiqué avec efficacité mensonges et manipulations. Les associations de Tutsi hors du Rwanda ont fait ainsi un très efficace lobbying pour convaincre les acteurs politiques du monde entier de la justesse de leur cause. Elles ont infiltré les principales organisations internationales, et d’aucuns, parmi leurs membres, ont su guider de très belles femmes Tutsi vers des lits appropriés (…) Leur brillante intelligence a su parfaitement se jouer de nombreux milieux intellectuels».

Qu'on ne vienne pas ici nous parler de lecture symptômale, l'homme de plume organise le plus clairement du monde sa terrible transposition. En une seule page
(1), il orchestre: "diaspora Tutsi", "lobbying", son admiration pour la "brillante intelligence" prêtée aux Tutsi, qui "ont infiltré les principales organisations internationales". Plus précisément encore, il introduit son propre humour, en clarifiant l'intention des Tutsi par ce cauchemardesque "l'an prochain à Kigali" — fabriqué, il faut le rappeler, sur le modèle de la prière domestique récitée pour les fêtes de la Pâque juive: "L'an prochain à Jérusalem", prière d'espérance purement religieuse, dont il serait déjà malhonnête de s'emparer à propos du conflit du Moyen-Orient, Conflit et atavismes supposés dont les obsessions servent tant de pochoirs à ce journaliste qu'elles en deviennent ses clés délirantes pour conflits tous azimuts.

Travaux pratiques faciles à réaliser chez soi: remplacez dans le texte ci-dessus "Tutsi" par "Juif"
(2) ou "sioniste" et rien ne distinguera plus cette prose de celle des vulgaires antisémites.

1. On retrouvera ce passage, et bien d'autres malheureusement, dans une étude d'Assunta Mugiraneza: Pierre Péan et le Rwanda ou le discours de la haine (L'Arche n° 581, septembre 2006), qu'on pourra lire dans le site du collectif VAN (Vigilance arménienne contre le négationnisme, un de plus). Faut-il rappeler que dans son élan moralisateur, Pierre Péan minimise, pour le moins, le génocide des Tutsi? Comme quoi tous les négationnismes passent par des formes rhétoriques obligées.
2. D'autant que, pour les amateurs de glisse en politique, le problème pourrait se pimenter, si on ajoute foi à tous les historiens qui pensent déceler une origine juive des Tutsi. Par exemple, cette petite synthèse, L'origine juive des Tutsi, rédigée par Mathias Niyonzima. Et la blogosphère de s'emparer de cette thèse pour la glorifier ou la diaboliser, au gré des préjugés du lieu et du jour.

© Photographie: coiffe Tutsi, rappelant les coiffes royales pharaoniques, en particulier la
khepresh de Ramsès II (1279-1212 av. J.-C.). Auteur inconnu, droits réservés.