Mal nommer
un objet, c'est ajouter

au malheur de ce monde.

Albert Camus.


dimanche 1 février 2009

Jean-Luc Godard: un goût de revenez-y



Et puisque nous en sommes à notre cinéaste, nous nous amuserons autour d'un point d'histoire. On se souvient de la phrase qui clôt le générique du Mépris (1963): «Le cinéma, disait André Bazin, substitue à notre regard un monde qui s'accorde à nos désirs. Le Mépris est l'histoire de ce monde.»

On donnera toutes ses chances à cette phrase en se souvenant que le cinéaste a souvent affirmé contre vents et marées que le cinéma était pour lui la seule réalité. Soit. Si, pour le moment, nous en restons au terre-à-terre, les cinéphiles savent, pour l'avoir lu partout, que la phrase réelle, beaucoup plus aisée à comprendre il faut l'avouer, est citée par André Bazin († 1958) dans son livre Qu'est-ce que le cinéma (1), mais qu'elle est de Michel Mourlet: «... le cinéma est un regard qui se substitue au nôtre pour nous donner un monde accordé à nos désirs ...» dans l'article Sur un art ignoré, dans le n° 98, août 1959, des Cahiers du cinéma. Tous ceux qui voudront en savoir un peu plus se reporteront au très intéressant Carnet de route de Michel Mourlet, qui, le 1er octobre 2008, a saisi l'occasion de nouveaux avatars de sa phrase pour faire le point sur cette affaire.

Courons au secours de notre emprunteur fétiche en citant exactement Alain Bergala, qui, dans son par ailleurs magnifique Nul mieux que Godard (Essais / Cahiers du Cinéma, 1999), justifie théoriquement ce type de tour de mémoire: Godard, écrit-il p. 181, «a une façon bien à lui de faire revenir les phrases des autres dans son discours ou dans ses films. Elle consiste à citer "à peu près" la phrase originelle, non par défaut de mémoire ou par manque de précision, mais parce que c'est dans ce "peu" près, grâce à cette minuscule différence, que la phrase peut réellement re-venir». Abyssal tiret déconstructeur, méditatif italique... On peut aussi dire, plus prosaïquement que, une fois «revenus», les oignons n'en sont que meilleurs.

1.
Qu'est-ce que le cinéma? comportait quatre tomes: I. Ontologie et langage — II. Le cinéma et les autres arts — III, Cinéma et sociologie — IV. Une esthétique de la Réalité: le néo-réalisme. Un choix d'articles en un volume est disponible: Qu'est-ce que le cinéma? aux Éditions du Cerf / 7e art, 1976/1999.

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La question juive de Jean-Luc Godard
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Photogramme: © Jean-Luc Godard, Le Mépris (1963).