Il y eut l'assaut de la Mosquée rouge à Islamabad, en juillet 2007. À la fin de cette même année, Benhazir Bhutto fut assassinée à Rawalpindi, banlieue sud de la capitale. En novembre 2008, les talibans pakistanais furent gravement impliqués dans les attentats de Bombay, et leur procès est ouvert depuis mercredi 22 avril à Bombay, le Pakistan ayant admis qu'ils ont été «en partie» préparés sur son sol, l'Inde dénonçant la complicité des services de renseignements militaires pakistanais. Autant de balises de détresse.
En 2007, sous la direction du trop bien nommé Sufi Mohammad, qui vient de décréter la démocratie «non islamique», les talibans pakistanais prirent le pouvoir dans la vallée de Swat, naguère connue sous le nom de "Suisse pakistanaise", berceau de l'art gréco-bouddhique anté-islamique dit Gandhara, au taux de scolarisation féminine particulièrement élevé, victoire qu'ils marquèrent aussitôt par la défiguration du Bouddha géant de Jehanabad datant du VIIe siècle, avec l'intention d'y appliquer la charia. L'État pakistanais intervint militairement, passa avec les talibans un bref accord de paix fin mai 2008, mais les combats reprirent bientôt, tandis que les écoles de filles furent fermées et détruites, les cinq prières par jour devinrent obligatoires, les femmes furent renvoyées des usines, interdites de marché, et enfermées à la maison, les policiers décapités, la vaccination anti-polio interdite au titre de «complot occidental visant à stériliser les bébés", les châtiments expéditifs exécutés en place publique et retransmis en vidéo sur le web.
Faisant suite à ce qui est désormais une tradition d'État, puisque de semblables accords avaient déjà été signés en 2005 et en 2007 dans les zones tribales voisines, Asif Ali Zardari, veuf de Benhazir Bhutto et nouveau président du Pakistan depuis septembre 2008, a signé le 14 avril dernier un nouvel accord et a obtenu avec ce texte un unanime appui parlementaire, même si ce marché de dupes — la paix ou la charia — semble avoir recueilli moins de soutien dans son peuple: la charia est désormais officialisée dans la vallée de Swat et, en contrepartie, les talibans devront déposer les armes. Les talibans se sont empressés de signer d'une seule main cet accord, et la charia de fait devenue charia de droit a donné un nouveau dynamisme aux tribunaux islamiques dans le nouvel émirat, beaucoup plus soucieux d'instaurer la terreur politique et sociale qu'une soi-disant moralisation religieuse.
En effet, dès le lendemain, leur porte-parole et gendre de Sufi Mohammad, Muslim Khan — faut-il commenter cet autre éloquent patronyme? — a prévenu que les combattants, liés à Al-Qaîda et aux talibans afghans, allaient continuer le jihad afin d'étendre la loi islamique à tout le pays et, par voie de conséquence, à son armement nucléaire (1). Le 22 avril, soit une semaine après avoir signé l'accord, les miliciens islamiques ont conquis, de la main demeurée libre dite manu militari, un nouveau district, Buner, à une centaine de kilomètres d'Islamabad, barrant les axes routiers et prenant le contrôle de bâtiments officiels, de diverses ONG et de mosquées. Aujourd'hui, 25 avril, Muslim Khan assure que, conformément aux accords passés, ses hommes sont en train de se retirer, tout en confirmant que certains, dont il ne peut donner le nombre, sont restés sur place. Ce contre quoi — un accord est un accord — les talibans ont obtenu la promesse des autorités de hâter l'installation de la charia à Buner. Au rythme des attentats-suicide, Peshawar, la capitale de la province du Nord-Ouest, et Islamabad elle-même, qui vient de subir sa seconde attaque contre ses policiers en moins de deux semaines, attendent leur tour.
À Genève, la Conférence mondiale contre le racisme, que c'est désormais «durbanophobie» d'appeler autrement, préparée sous présidence lybienne, et sous vice-présidences de l'Iran, de la Russie, du Cameroun et, bien entendu, du Pakistan déjà à la tête de l'Organisation de la Conférence Islamique, a abouti, dès le mardi 21 avril, à un texte fort consensuel que notre Ministre des Affaires étrangères a qualifié de miracle historique majeur, grâce au travail acharné et lucide des Européens.
À Islamabad où, la même semaine, l'Histoire majeure de l'ère nucléaire a pris un nouveau rendez-vous, les miracles n'apparaîtront qu'à ceux qui y auront prêté foi.
1. Lundi 27 avril, le président Asif Ali Zardari a sans doute cru rassurer une partie de son opinion publique, inquiète, certes, de la menace croissante des talibans sur l'exercice du pouvoir politique, mais minée par un antiaméricanisme qui prend les proportions d'une frénétique paranoïa, en déclarant: «L'arme nucléaire dont dispose le pays est entre de bonnes mains.» Un miracle de plus.
© Photographie: Le Bouddha de la vallée de Swat, auteur non identifié, tous droits réservés.